lundi 4 octobre 2010

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conditions la question suivante s’impose : qui se cache

derrière le Saint-Siège ? A cette question, le lecteur de

cette brochure pourra répondre de lui-même.

Quant à lui, le grand écrivain russe, Léon Tolstoï, a

déjà évoqué ce sujet dans un conte intitulé « L’enfer

reconstruit »*. Ce texte figure dans un ouvrage posthume

publié par son fils Léo, ce qui lui valut d’ailleurs de

subir l’accusation de blasphème lors de la parution de

ce récit dans lequel Tolstoï nous conte ce qui suit :

Après la crucifixion et la mort physique de Jésus au

Mont Golghota, Satan, père et souverain des enfers,

perdit son pouvoir sur les hommes et fut exilé dans un

profond ravin dont il ne pouvait s’extraire car il était

entravé aux pieds. Sur la Terre les hommes « étaient

parfaitement heureux... Il n’y avait entre eux ni haine, ni

colère... Tout était en commun. Ils ne se défendaient pas

contre les assauts de leurs ennemis, et payaient le mal

par le bien. Leur vie était si belle que d’autres, de plus

en plus nombreux, venaient sans cesse se joindre à

eux...» Il semblait qu’il ait définitivement perdu la partie :

« Un siècle passa, puis deux, puis trois...» quand

soudain « ... une foule de démons, se poussant les uns

les autres, s’abattirent sur le souverain comme une nuée

* Léon Tolstoï : «Oeuvres posthumes» Editions Bossard.

Paris 1925

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de corbeaux sur la charogne. » Etonné, Satan leur

demanda : « Que signifie tout ce bruit ? Qu’y a-t-il donc

là-haut ? » Et le chef des démons, revêtu d’une pèlerine,

de lui répondre : « La même chose qu’avant. » Mais,

s’étonna Satan « Et l’enseignement de Celui que je ne

veux pas nommer ? » « Cet enseignement ne nous

dérange plus » répondit le démon en pèlerine « les

hommes n’y croient plus... J’ai travesti Sa doctrine... et

le résultat de mes travaux, c’est que les hommes ne

croient plus en son enseignement mais au mien, tout en

donnant à celui-ci le nom de celui-là. »

« Et comment t’y es-tu pris ? » demanda Satan. « J’ai

décidé de créer l’Eglise. » lui répondit le démon en pèlerine.

« Mais qu’est-ce que l’Eglise ? » demande Satan

qui l’ignorait. Voici la réponse qu’on lui fit :

« L’Eglise est ceci : Quand les hommes mentent, et

quand ils sentent qu’on ne les croient pas, ils en appellent

à Dieu, en disant : « Dieu m’est témoin que la vérité est

ce que je dis. » Il y a encore cette particularité que les

hommes qui se disent de ‘l’Eglise’ prétendent qu’ils ne

peuvent se tromper. C’est pourquoi aucune erreur sortant

de leur bouche ne peut être abjurée par eux. L’Eglise

s’édifie de cette sorte : les hommes proclament que, pour

éviter les fausses interprétations de la Loi divine, leur

Maître fit choix de quelques-uns qui, seuls, avec ceux

auxquels ils ont délégué leur pouvoir, peuvent commenter

sa parole... ils ont cet avantage que, s’étant proclamés

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‘Eglise’ et ayant sur cette base fondé un enseignement,

la foi s’impose jusque dans l’absurde... »

Comme on le voit, Tolstoï avait une idée très précise

sur l’origine de l’Eglise. Celle-là ne résulte d’ailleurs

nullement de son inspiration romanesque mais bien

plutôt de sa longue expérience dans la fréquentation de

l’Eglise et de son enseignement dont voici un exemple :

« … le sens des dogmes sacrés qui doit être conservé

à perpétuité est celui que notre Mère la sainte Eglise

a présenté une fois pour toutes et jamais il n’est loisible

de s’en écarter sous le prétexte ou au nom d’une compréhension

plus poussée.» *

On se rappelle également du passage rapporté plus

haut : « quelqu’un qui rejette toute la tradition ecclésiastique

écrite ou non écrite, qu’il soit anathème... »

Par ailleurs, le pape Pie IX formule ce qui suit dans

son allocution Singulari Quadam de 1854 : « Il faut

admettre de foi que, hors de l’Église apostolique romaine,

personne ne peut être sauvé. L’Eglise romaine est la

seule arche de salut. Celui qui ne s’y hisse pas périra

par les flots », il faut comprendre « sera damné ».

Naturellement, ce dont nous venons de prendre connaissance

signifie que toutes les autres confessions sont

*1er Concile du Vatican, 8 décembre 1869-20 octobre 1870/

3ème session, 1870 : Constitution dogmatique «Dei Filius»

sur la foi catholique/ Chap. 4. La foi et la raison/ Ce qu’est le

progrès dans la science théologique)

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dans l’erreur et que tous leurs fidèles sont voués à la

damnation éternelle : hindous, bouddhistes, musulmans,

jaïns, juifs, taoïstes et bien sûr les différents courants

issus de la famille protestante.

Certains, qui admettent la véracité de ces faits, avancent

pourtant que toutes ces affirmations appartiennent

désormais au passé depuis le fameux Concile Vatican II

sensé avoir fait entrer l’Eglise dans l’ère de la modernité

et l’avoir dotée d’un esprit d’ouverture et de tolérance.

A ceux-là, nous aimerions soumettre ce passage d’un

document publié à l’issue du Concile Vatican II : « …le

Christ lui-même a du même coup affirmé la nécessité de

l’Eglise, dans laquelle on est introduit par le baptême

comme par une porte. Aussi ne pourraient-ils pas être

sauvés, ceux qui, sans ignorer que Dieu, par Jésus-Christ,

a établi l’Eglise catholique comme nécessaire, refuseraient

cependant d’y entrer ou de demeurer en elle. »*

Qu’on nous permette de poser cette question : y a-til

un seul protestant, un seul juif, un seul musulman de

par le monde pour ignorer l’existence de l’Eglise catholique

et échapper ainsi à ce danger ?

En vérité, tous la connaissent ! Seules certaines

peuplades d’Amazonie ou de Papouasie Nouvelle-

Guinée l’ignorent peut-être encore, mais pour tous les

*Constitution Dogmatique sur l’’Église Lumen Gentium – 5ème

session 1964/ 2ème chapitre : le peuple de Dieu/ Les fidèles

catholiques)

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autres, la sentence est claire : ils sont condamnés à la

damnation éternelle par l’Eglise.

D’autres avant nous se sont demandés qui se cache

derrière le Saint-Siège ? C’est par exemple le cas de

Martin Luther. Voilà ce qu’il en dit, en 1529, dans son

sermon contre les Turcs : « Je crois que le pape est un

diable en chair et en os, déguisé, car il est le Antéchrist. »

Et il écrit également : « Car le diable qui a fondé la papauté

parle et agit à travers le pape et le siège de Rome.

Tu sais maintenant qui est le pape et d’où il vient, une

abomination issue de l’idôlatrie de tous les diables sortis

du fond de l’enfer. »

Prenons conscience qu’il s’agit là des propos du fondateur

de l’Eglise protestante et que ceux-ci n’ont jamais

été démentis ni reniés. Pourtant, l’Eglise luthérienne met

tout en oeuvre pour se rapprocher de l’Eglise catholique.

Peut-être cherche-t-elle à revenir dans le sein de celle

dont elle est issue pour s’éviter d’avoir à subir les feux

de l’enfer éternel ? A la vue de ce spectacle, un esprit

goguenard ne manquerait pas de faire remarquer que

l’Eglise protestante « fait le beau » devant le diable !

A moins qu’elle n’agisse ainsi sous l’influence des

aspects païens qui l’imprègnent également. Même si les

protestants ne célèbrent pas le culte de Marie et rejettent

la vénération des reliques, pratiques auxquelles ils se sont

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vigoureusement opposés lors du schisme protestant, le

paganisme n’en a pas moins gardé une grande influence

sur leurs croyances et leurs pratiques. Ainsi, l’autel placé

au centre des lieux de culte, la chaire du haut de laquelle

s’exprime le pasteur en direction de ses brebis, sont des

convenances issues directement du paganisme, en

l’occurence ici, du culte d’Isis.

De même, le rituel consistant à célébrer un repas de

la cène n’existait pas chez les premiers chrétiens qui

se contentaient de prendre un « repas de l’amour » en

commun, qu’ils partageaient avec les pauvres. C’est

seulement par la suite que ce repas fut ritualisé.

On peut également ranger au nombre des influences

païennes le recours aux vêtements sacerdotaux et à

l’autel et bien d’autres aspects encore.

A cet égard, l’aspect le plus déterminant est sans

aucun doute le pouvoir d’intercéder entre Dieu et les

hommes dont les prêtres sont investis. Ainsi, certains

se prétendent-ils des intermédiaires entre Dieu et les

hommes, et l’Eglise catholique en tant que manifestation

de la volonté divine sur la Terre en est l’expression parfaite.

Dès lors, on comprend mieux pourquoi il n’est possible

d’obtenir le salut qu’à la condition de s’en remettre

aveuglément à ce que disent les prêtres, affirmation que

l’Eglise protestante reprend à son compte.

Pourtant, là encore ces deux institutions sont

totalement en contradiction avec la Bible, leur référence

193

suprême puisqu’il est écrit dans l’Epître à Thimothée :

« Car vous n’avez qu’un Dieu et il n’y a qu’un seul intermédiaire

entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ ». Où estil

question de prêtres ici ?

Que peut donc gagner l’Eglise protestante en singeant

ainsi l’Eglise catholique et ses coutumes directement inspirées

du paganisme. En effet, ainsi que nous l’avons

vu, quoi que fassent les protestants, ils sont eux aussi

voués à la damnation éternelle s’ils n’acceptent pas la

totalité des dogmes catholiques. Ils auront beau faire et

beau dire, ils n’obtiendront pas pour autant la grâce de

l’Eglise catholique ! Ils s’y essaient pourtant. On pourra

cependant leur accorder des circonstances atténuantes

en raison de la duplicité dont fait preuve l’Eglise catholique

dans cette affaire.

Nous venons d’évoquer longuement la dureté d’un

enseignement qui promet la damnation, l’enfer éternel,

à quiconque ne s’y conforme pas. C’est une réalité incontournable,

que chacun peut vérifier. Pourtant,

lorsqu’on aborde ce sujet avec des catholiques, leur

réaction consiste la plupart du temps à le minimiser, voire

à le nier purement et simplement. A la question récente

d’un de ses lecteurs qui demandait : « comment parler

de l’enfer et le définir aujourd’hui ? » le Weltbild, journal

catholique allemand, fit la réponse suivante : « il existe

une thèse affirmant que l’enfer signifierait la fin de l’existence

de l’homme, sa disparition pure et simple. »

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Cette interprétation tout à fait nouvelle nous amène à

nous demander quel est le but recherché par ceux qui

affirment de telles choses car il s’agit là ni plus ni moins

d’un blasphème.

D’une part, l’Eglise reconnaît l’immortalité de l’âme

et d’autre part elle elle annoncerait maintenant que ceux

qui ne croient pas en ses dogmes seront réduits à néant.

Ainsi, la vie de certains êtres que Dieu a créés serait

anéantie à tout jamais parce qu’ils refuseraient les dogmes

catholiques. Il est difficile de trouver pensée plus

satanique.

En l’occurrence, il ne s’agit pas de dissolution dans

le Nirvana comme le professe le bouddhisme, puisqu’au

moins dans ce cas l’énergie est conservée. Non, il est

avancé ici que l’homme retournerait au néant. Et qu’estce

que le néant ? C’est le rien absolu ! Et celui-ci ne

peut être envisagé si on considère qu’aucune énergie

ne se perd.

Cette thèse renferme donc l’idée de la destruction

pure et simple de la création divine, que celle de l’enfer

exprime déjà. Il suffirait d’un seul homme voué à l’enfer

éternel pour que Dieu soit vaincu, car Dieu a créé la vie,

Il est le Dieu de l’amour. Si donc un seul être humain

devait être damné pour l’éternité, Dieu aurait bel et bien

perdu puisque le mal serait alors plus fort que l’amour.

Une telle assertion représente un blasphème envers le

Créateur.

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Faisons maintenant un bref retour en arrière. Nous

avons pris connaissance un peu plus haut de documents

officiels de l’Eglise affirmant que celle-ci détiendrait de

Dieu la mission d’apporter aux hommes le salut sur la

Terre et qu’ainsi il n’y aurait pas de salut hors de l’Eglise.

A ce propos, voilà ce que l’on peut lire dans le Décret

pour les Jacobites officialisé lors du Concile de Florence

(1442) : « Elle (La sainte Eglise romaine) croit fermement,

professe et prêche qu’» aucun de ceux qui se trouvent

en dehors de l’Eglise catholique, non seulement païens

mais encore juifs ou hérétiques et schismatiques ne

peuvent devenir participants à la vie éternelle, mais iront

« dans le feu éternel qui est préparé par le diable et ses

anges» (Mt 25, 41) à moins qu’avant la fin de leur vie ils

ne lui aient été agrégés » et que « personne ne peut être

sauvé, si grandes que soient ses aumônes, même s’il

verse son sang pour le nom du Christ, s’il n’est pas demeuré

dans le sein et dans l’unité de l’Eglise catholique.»*

Selon la doctrine protestante, chaque individu

serait «prédestiné» par Dieu au Ciel ou à l’Enfer

Ainsi donc, selon l’enseignement catholique, même les

protestants n’échappent pas aux feux de l’enfer. Bien

*Décrets pour les Jacobites et les Arméniens, Concile de

Florence (1492)

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entendu, un protestant pourra toujours se retrancher derrière

le fait qu’il est à l’abri de ce risque puisqu’il rejette

ce dogme. Ce faisant, il pourra se croire tiré d’affaire.

Pourtant, les choses ne sont pas aussi simples et voici

pourquoi.

Peu de gens savent en effet, même parmi les fidèles

protestants, que selon l’enseignement luthérien, l’homme

serait prédestiné, affirmation que l’on garde soigneusement

sous le boisseau car elle serait bien sûr assez mal reçue

par le grand public et les fidèles de l’institution. C’est

pourtant un fait indéniable qui n’a fait l’objet, jusqu’à ce

jour, d’aucun reniement de la part de l’Eglise luthérienne.

En fait, cela signifie concrètement que la moitié de l’humanité

est prédestinée au salut alors que l’autre est promise

à la damnation éternelle, sans qu’il ne soit possible

d’y rien changer puisque cela résulte d’une décision

arbitraire de Dieu. Cet enseignement se révèle finalement

encore plus pervers que celui de l’Eglise catholique.

Se tourner vers le protestantisme ne résout donc en

rien le dilemme dans lequel nous nous trouvons !

Ainsi, le dogme luthérien avance que Dieu aurait

décidé bien avant notre naissance que nous irions au

Ciel ou serions promis à l’enfer éternel ? Aussi incroyable

que cela puisse paraître, c’est pourtant bel et bien

ce que prétend Luther.

On s’en doute, une telle théorie est peu susceptible

de séduire, aussi l’Eglise protestante a-t-elle depuis

197

aménagé une version moins radicale. Il ne s’agirait plus

maintenant d’affirmer que Dieu aurait prédestiné chacun

de nous au ciel ou à l’enfer, mais que cela pourrait être

une possibilité. Si tel est le cas alors, en toute logique,

cela signifie que nous n’avons pas besoin des services

de l’Eglise ! Car enfin, si tout est déjà programmé et que

rien ne puisse changer notre destinée, nous serions bien

insensés de verser notre obole aux représentants d’une

institution qui nous voue aux gémonies !

Une doctrine religieuse qui dénie à l’homme

son libre arbitre, sape le principe sur lequel

repose l’ordre démocratique

Toutefois, en un certain sens, cela pourrait en arranger

quelques-uns. Un délinquant, par exemple, conduit

au tribunal pour y répondre de ses actes, pourrait, après

tout, avancer qu’il ne peut en être tenu pour responsable,

Dieu ayant fait de lui un être malfaisant bien avant sa

naissance. Serait-il juste, dans ces conditions de condamner

cette personne ?

Quel pourrait être le point de vue d’un juge à ce sujet ?

Evidemment, s’il s’en tient strictement à la déontologie

de sa profession, il ne peut que rejetter une telle objection.

Mais, s’il s’avère être lui-même de confession protestante,

il pourrait alors éprouver de sérieux problèmes

de conscience.

198

Mais poursuivons notre raisonnement.

Si notre juge condamne quelqu’un que Dieu a voué à

l’enfer éternel avant même sa naissance, il s’oppose alors

à la volonté divine. Doit-il s’attendre lui aussi à rôtir dans

les feux de l’enfer éternel ?

On voit bien ici combien ce paradoxe induit par

l’enseignement protestant-luthérien sape tout ordre

juridique.

Un groupe confessionnel qui, sur le plan de l’éthique,

rejette la capacité au libre-arbitre des individus et considère

que ceux-ci ne disposent pas de la liberté de se

décider pour le bien ou le mal, parce qu’ils sont prédestinés

à l’un ou à l’autre, nie les fondements mêmes de

l’ordre juridique dans la société et contredit ceux de la

Constitution, qui, elle, reconnaît et affirme le droit de

chacun à la liberté. L’enseignement de Luther est en

totale opposition avec ces principes.

Comment un criminel dépourvu du libre arbitre, selon

la doctrine luthérienne, peut-il être jugé et condamné

comme s’il en disposait.

Comment le procureur pourrait-il requérir une condamnation

contre cette personne sous prétexte qu’elle

aurait dû agir autrement alors qu’en réalité, selon la

doctrine luthérienne, elle en était dans l’incapacité.

On voit bien comment cela s’oppose aux valeurs

démocratiques. En fait, l’ordre juridique induit par la

notion de prédestination divine consiste à trier le bon

199

grain de l’ivraie, c’est-à-dire les individus respectables

et les personnes amorales.

Comment ne pas se demander alors si cette vision

des choses n’a pas profondément marqué la conscience

du peuple allemand et contribué à façonner la volonté

purificatrice et exterminatrice des nazis. Tous ceux qui

connaissent un tant soit peu l’histoire savent à quel point

les dignitaires luthériens (et catholiques) allemands se

sont compromis avec le régime hitlérien (le fait que des

personnes « justes » de confession catholique ou luthérienne

s’y soient opposées ne change rien à ce constat,

puisque cela relève exclusivement de la conscience individuelle

de ces individus). On sait de quelle manière

des enfants handicapés confiés à des instituts gérés par

l’Eglise luthérienne ont été livrés à une mort affreuse. De

nombreux ouvrages d’histoire émanant de diverses

sources traitent de ce sujet et cette thèse y est largement

développée et étayée par d’autres que nous.

Plus loin encore, le comportement intraitable d’un

Luther ou d’un Calvin et leur aptitude à condamner à

mort tout opposant à leur vision dichotomique du monde,

entre bien et mal, n’a rien à envier à la brutalité de l’inquisition.

On le sait, dans le système judiciaire moderne, on ne

peut condamner quelqu’un pour délit que dans la mesure

où cette personne disposait de sa responsabilité pleine

et entière au moment des faits. Un délinquant prédestiné

200

à le devenir, privé de libre arbitre, peut-il être tenu pour

res-ponsable de ses actes et le juge qui le condamne

malgré tout ne se rend-il pas lui-même coupable

d’injustice.

Cela ne fait-il pas de ce dernier un bon candidat à

l’enfer, à moins que Luther ne vienne à son secours en

faisant valoir que lui aussi était prédestiné à agir de la

sorte et qu’il n’avait finalement pas la liberté de se comporter

autrement.

Il s’agit là d’un cercle vicieux, totalement insensé, dans

lequel des marionnettes de Dieu évoluent sans liberté.

Quel Dieu est-ce donc que celui-là ? Sûrement pas celui

dont parla Jésus, il y a 2000 ans. Dieu n’a jamais fait de

Ses créatures des marionnettes. Au contraire en témoignage

de son amour, il les a dotées du don le plus précieux

qui soit, le libre arbitre, c’est-à-dire de la possibilité

de décider librement, en toute occasion, ce qui inclut également

celle de le rejeter et de nier son existence.

Chers lecteurs, comment souhaitez-vous être jugés ?

Selon le droit catholique ou selon le droit protestant ? Si

vous choisissez la première option, il vous faudra peutêtre

encourir la torture puisque celle-ci est légitime.

Quand il s’agit de sauver l’âme, les souffrances endurées

par la chair pécheresse ne comptent pas. Rien ne

doit être négligé pour permettre au pécheur de s’amender

et à son âme de trouver le salut.

201

Si, par contre, vous choisissez la seconde option, vous

échappez à la torture. En effet, selon le droit protestant

celle-ci est parfaitement inutile puisqu’elle ne permet en

rien à l’homme de s’améliorer. Il est bon ou mauvais,

voué à l’enfer ou au paradis selon sa prédestination.

Et si aucune de ces solutions ne vous agrée, vous

saurez pourquoi il est si important de rester vigilant et

de se prémunir, aujourd’hui encore, contre l’influence

du religieux sur le pouvoir politique et judiciare.

La caste des prêtres cherche à influencer

le pouvoir temporel et à kidnapper la

démocratie

Selon l’Eglise catholique, l’Ancien Testament doit être

éclairé par le Nouveau.

Cette affirmation est beaucoup moins sibylline qu’elle

n’y paraît. En effet, elle implique ni plus ni moins la négation

de l’ordre juridique du monde, celui-ci n’étant plus

nécessaire puisque, en dernier ressort, c’est le prêtre qui

a toujours raison. C’est à l’Eglise catholique de définir

ce qui est juste et ce qui ne l’est pas.

Selon la conception des rapports entre l’Etat et l’Eglise

qui prévaut au sein des institutions catholique et protestante,

l’Etat n’est finalement que l’exécuteur des basses

oeuvres de l’institution ecclésiastique, son bras séculier.

Elles décident, il exécute.

202

Mais heureusement, il n’en est pas ainsi. C’est

seulement contraintes et forcées que les deux institutions

ont renoncé à gouverner les affaires du monde et

nul doute que si nous n’y prenions garde, elles chercheraient

à faire rentrer par la fenêtre ce que beaucoup

d’hommes épris de liberté et de justice ont fait sortir par

la porte.

« …nous définissons que le Saint-Siège apostolique

et le pontife romain détiennent le primat sur tout l’univers

» enseigne l’Eglise, comme nous l’avons mentionné

au chapitre 3.

Aux yeux de l’Eglise, la démocratie n’est qu’un pis

aller et son véritable projet consiste à la soumettre à sa

dictature.

Qui sait que l’Eglise catholique exige de ses ouailles

une fidélité absolue en toute circonstance. En toute

situation, dans les domaines tant privé que public, ils

ont le devoir de faire prévaloir l’enseignement chrétien,

c’est-à-dire en fait la dogmatique de l’Eglise, et de faire

triompher son idéologie. Ainsi, dans la mesure où cette

idéologie est de nature totalitaire et n’a rien de commun

avec la démocratie, on est en droit de considérer ici

qu’un système dictatorial cherche à mettre au pas la

démocratie.

Certains objecteront sans doute que jusqu’à présent

ces principes n’ont jamais été mis en oeuvre. A cela,

nous avons déjà répondu en partie un peu plus haut.

203

Toutefois nos lecteurs seront sans doute intéressés de

prendre connaissance des propos tenus par le cardinal

Meissner. Récemment, ce prélat a expressément

demandé à la CDU allemande (Union des Démocrates

Chrétiens ) de changer de dénomination et de ne plus

se qualifier de chrétienne. Pourquoi cela ? En aucun cas

parce que la CDU, tout comme l’Eglise catholique, n’ont

rien à voir avec le Christ, mais parce que, nous citons

ses propos : « C’est nous qui décidons de ce qui est

chrétien et de ce qui ne l’est pas ! » et d’ajouter : « Ce

parti ne va pas dans le sens de mes conceptions strictement

réactionnaires. » Pour ce cardinal, les principes

de l’Eglise n’ont donc pas seulement vocation à rester

couchés sur du papier, mais surtout à être mis en pratique.

A ceux qui en douteraient encore, nous ne

saurions trop conseiller la lecture du livre de Gabriele de

Würzburg : « Découvrez la vérité – le pouvoir de l’Eglise

et de l’Etat et la justice de Dieu. Un livre qui s’adresse

aux esprits libres et critiques. » Dans ce livre seulement

disponible en allemand pour le moment, il est décrit avec

une concision et une clarté incroyables la manière dont

ces mécanismes fonctionnent. En effet, la caste des

prêtres tire les ficelles de l’Etat démocratique bien plus

qu’on ne le croie.

204

205

... encore quelques mots

206

207

Lettres au Pape

Après l’élection du cardinal Ratzinger sur le trône de

Pierre, un chrétien des origines lui écrivit une lettre circonstanciée.

Cette dernière étant restée sans réponse

durant de longues semaines, il en écrivit une seconde,

à laquelle, jusqu’à ce jour, aucune réponse n’a été donnée

non plus.

Vous pouvez lire ci-dessous le contenu de ces deux

lettres.

2 mai 2005

Très honoré Pape Benoît.

Veuillez excuser ce titre qui ne correspond pas à l’étiquette

en vigueur, mais il m’est difficile de m’adresser

à un homme en le qualifiant de « Saint-Père » ou de

« Votre Sainteté ». Ainsi, je ne m’adresse pas à vous

ici en tant que responsable suprême de votre Eglise

mais tout simplement en tant que frère en Christ.

Puis-je me permettre de vous rappeler que nous nous

sommes déjà rencontrés dans des circonstances pour

le moins critiques. En tant qu’archevêque de Munich

208

et de Freising, vous aviez pris des mesures disciplinaires

à l’encontre d’un prêtre de campagne récalcitrant

qui refusait de verser le denier de Saint-Pierre.

Et c’est justement à mes services d’avocat que cet

homme a fait appel, ayant recours à la justice pour

éviter d’être suspendu de ses fonctions. Ce litige d’ordre

canonique donna lieu à une rencontre et à un

échange, que vous avez mené avec beaucoup de

compréhension, débouchant sur un arrangement à

l’amiable. Le prêtre en fut reconnaissant à son évêque

et l’avocat impressionné par la disposition de ce dernier

à la réconciliation. Compte tenu du foisonnement

d’événements ayant parsemé votre vie depuis, il est

peu probable que vous ayez souvenance de celui que

je viens de relater tout comme vous n’aurez certainement

pas entendu parler d’une émission diffusée sur

la 1ère chaîne de télévision italienne RAI UNO et intitulée

« dieci minuti », au cours de laquelle un juriste

allemand est venu présenter aux téléspectateurs un

mouvement religieux se rattachant au courant du

christianisme des origines.

Et oui, l’avocat munichois d’autrefois est entre temps

devenu un humble chercheur de Dieu au sein d’une

communauté du christianisme originel (tout au moins

il l’espère ) qui s’efforce de comprendre et de mettre

en pratique au quotidien les enseignements de Jésus

de Nazareth.

209

C’est en référence à cette tentative que je me permets

de poser quelques questions au Pape nouvellement

élu de l’Eglise catholique, apostolique et romaine.

Cela semblera peut-être prétentieux et impertinent,

mais le Christ ne fait pas de différence entre grands

et petits. Les questions se rapportant à la vie chrétienne

n’ont pas à être débattues à huis clos, c’est

pourquoi j’ai décidé d’écrire cette lettre sous la forme

d’une lettre ouverte.

La première question que je souhaite vous adresser,

vous l’avez vous-même soulevée au milieu des années

60, comme l’évêque de Limburg, Mgr Franz Kamphaus,

l’a rapportée il y a peu dans le journal « Frankfurter

Allgemeinen Zeitung ». En effet, à l’occasion d’une intervention

à caractère théologique lors du concile Vatican

II, vous avez rendu les participants attentifs au

fait qu’il était dangereux que le pape se fasse appeler

« Saint-Père », car cela est contraire aux paroles de

Jésus (Math 23, 8-9) : « Pour vous, ne vous faites pas

appeler « Rabbi » ; car vous n’avez qu’un Maître, et

tous vous êtes des frères. N’appelez personne votre

« Père » sur la terre : car vous n’en avez qu’un, le Père

céleste. » Cela paraîtra peut-être un détail insignifiant

aux yeux de certains, cependant, comme vous

l’avez fait remarquer, ces paroles sont contraires à

celles prononcées par Jésus. Par conséquent, la

210

*En français, ce livre a pour titre ‘La foi chrétienne hier et

aujourd’hui’. Les Editions du Cerf, Paris 2005

question qu’on est légitimement en droit de se poser

est la suivante : A quel point le nouveau pape souhaite-

t-il prendre la parole de Jésus au sérieux et renoncer

alors à se faire appeler « Saint-Père » et à laisser

les fidèles s’agenouiller devant lui ?

Ma deuxième question s’adresse à l’Eglise en tant

qu’institution. Rappelons que, malgré son passé sanglant,

celle-ci se considère toujours comme seule capable

d’apporter le salut aux hommes et continue de

recruter ses fidèles dès le berceau et de les retenir,

par la suite, avec des menaces d’ordre spirituel. Dans

votre livre paru en 1968 « Einführung in das Christentum

»*, et qui a recueilli beaucoup de lecteurs depuis,

vous écrivez que, face à l’histoire de l’Eglise, je cite « nous

pouvons comprendre l’effroyable vision de Dante, voyant

la prostituée babylonienne assise dans le char de l’Eglise.

» (p. 244) L’Apocalypse de Jean nous place devant

les conséquences qu’il convient de tirer face à Babylone,

la prostituée: « Sortez, ô mon peuple, quittez-la, de

peur que, solidaires de ses fautes, vous n’ayez à pâtir

de ses plaies ! » (Ap 18, 4) Pourtant, quelqu’un qui choisirait

de suivre ce conseil serait immédiatement menacé

de la damnation éternelle par l’Eglise.

211

Et celui qui cherchera à résoudre ce conflit qui oppose

le salut en Christ et les maux de l’Eglise en se tournant

vers la théologie, recevra pour le moins des réponses

paradoxales : « Grâce au don du Seigneur, qui s’est

livré sans plus se reprendre, l’Eglise est pour toujours

la communauté sanctifiée par lui, celle en qui la sainteté

du Seigneur est rendue présente au milieu des

hommes. Mais c’est vraiment la sainteté du Seigneur

qui y est présente et qui, dans un amour paradoxal,

choisit sans se lasser, comme réceptacle de sa présence,

les mains sales des hommes. C’est une sainteté

qui éclate et se manifeste comme sainteté du

Christ au milieu du péché de l’Eglise… Ainsi, le visage

paradoxal de l’Eglise, où le divin se présente si souvent

dans des mains indignes... devient pour les croyants

un signe du ‘malgré tout’ de l’amour de Dieu. » ( p. 246 )

Quant à moi, je ne suis pas spécialiste en théologie et

c’est sans doute pourquoi je ne peux m’empêcher de

ressentir tout cela comme un jeu de l’intellect dont on

connaît l’aptitude pour modeler les choses à sa convenance

: ainsi, par un tour de passe-passe «paradoxal

» l’Eglise prend la place du «Seigneur» et conserve

sa sainteté même si elle se détourne de Lui,

puisqu’il « s’est livré sans plus se reprendre. » Ce qui

vous permet de conclure, page 247 « pour moi, cette

sainteté si peu simple de l’Eglise a quelque chose d’infiniment

consolant. »

212

Très honoré pape Benoît, que penserait Jésus de

tant de paradoxes ? Pourrait-il tolérer que votre Eglise

prétende incarner le « Corps mystique du Christ » et

que, en vertu du paradoxe de la « sainteté nonsainte

», elle puisse s’en réclamer à travers l’histoire

malgré les croisades, l’inquisition, la chasse aux sorcières

et tous les actes sanguinaires qu’elle a pratiqués

au cours des siècles. La devise « une fois

sainte, toujours sainte » de l’Eglise, ne représentet-

elle pas un danger potentiel quant à ce que celle-ci

nous réserve pour l’avenir ?

Dans votre livre, vous faites valoir que, je cite : « il y

a toujours de l’orgueil caché là où la critique de l’Eglise

revêt cette dureté amère… jointe trop souvent à un

vide spirituel… où la réalité propre de l’Eglise n’est

plus perçue (que comme) un instrument politique,

dont l’organisation apparaît pitoyable ou brutale,

comme si la réalité propre de l’Eglise ne se situait

pas au-delà de l’organisation, dans le réconfort de la

parole et des sacrements… » (p. 247)

Comment pouvez-vous, compte tenu du caractère

impérial et des structures de pouvoir dont votre Eglise

s’est dotée par le passé tout autant qu’aujourd’hui,

justifier devant Dieu vos ambitions spirituelles et prétendre

annoncer aux hommes l’Evangile au nom de

Jésus-Christ ?

213

Permettez-moi une audace, celle de me faire un instant

l’avocat du Nazaréen pour vous poser encore

quelques questions dérangeantes : Trouvez-vous

compatible avec l’enseignement de Jésus le fait que

l’Eglise continue à s’approprier l’immense richesse

acquise au cours des siècles passés, en grande

partie au moyen de la tromperie et de la violence ?

Ne serait-il pas temps d’utiliser cette fortune pour

contribuer efficacement à réduire la faim et la misère

dans le Tiers-Monde ? Que vous conseillerait Jésus

en l’occurrence ?

Que penserait le charpentier de Nazareth de la

débauche de luxe dont le monde a été le témoin lors

du décès de votre prédécesseur et de votre propre

intronisation ? Les évangiles nous rapportent qu’à

l’occasion Jésus ne refusait pas de participer à une

fête, comme il le fit lors des noces de Canaa. Mais,

ce dont il est question ici c’est de faste et de luxe,

d’or et de pourpre, déployés au nom de Jésus, alors

que chaque jour, dans le monde, 40 000 enfants meurent

de faim. Les observateurs avertis ont vu dans cette

mise en scène une démonstration destinée à affirmer

la puissance catholique dans le monde. Ainsi, ce spectacle

médiatique forcené, digne du réalisateur Cecil

B. De Mille, n’a laissé aucune place à la spiritualité et

s’est plutôt transformé en une manifestation d’hystérie

collective au cours de laquelle il fut rendu hommage

214

au « réprésentant de Dieu sur Terre », comme à une

idole, le Christ crucifié, mort sur la croix, seulement

entouré de quelques fidèles, devenant ici un simple

accessoire dans tout ce décorum. En passant, je m’autorise

encore cette question : pourquoi continuez-vous

à le représenter cloué sur la croix, alors qu’il est ressuscité

depuis longtemps ?

S’il est éventuellement possible de passer sur certaines

des nombreuses divergences existant entre le

simple charpentier de Nazareth et l’opulente Eglise

qui se réclame de lui, il ne saurait en être de même

en ce qui concerne le désaveu autrement douloureux

de Jésus par les dogmes centraux de l’Eglise. N’estil

pas accablant que beaucoup de chrétiens d’Eglise

soient à ce point déconcertés quand on leur demande

pourquoi le Christ s’est fait homme et pour quelle

raison il est mort dans les conditions que l’on sait ?

Ceux qui, parmi eux, auront conservé quelques souvenirs

de leurs cours de catéchisme pourront toujours

répondre que ce sacrifice était nécessaire pour

réconcilier Dieu avec les hommes sans se rendre

compte de la portée d’une telle réponse qui fait de

Dieu un être abominable, tellement offensé par les

hommes qu’Il exige d’eux un sacrifice humain, qui

plus est, celui de son propre fils

Une telle image de Dieu rebute beaucoup de gens

et rend suspect Jésus de Nazareth.

215

Ce que j’avance, chacun peut le vérifier en parcourant

le Cathéchisme de l’Eglise catholique où l’on peut

lire que « La mort violente de Jésus n’a pas été le

fruit du hasard dans un concours malheureux de circonstances.

Elle appartient au mystère du dessein

de Dieu…» Il avait été livré selon le dessein bien arrêté

et la prescience de Dieu » (Ac 2, 23). » et que

Jésus « …accepte sa mort … pour « porter lui-même

nos fautes dans son corps sur le bois » (1 P 2, 24 )…

« Ce sacrifice du Christ est unique, il achève et dépasse

tous les sacrifices (cf. He 10, 10). Il est d’abord

un don de Dieu le Père lui-même : c’est le Père qui

livre son Fils pour nous réconcilier avec lui (cf. 1 Jn

4, 10). »

Une telle interprétation des évènements de la mort

de Jésus sape en profondeur depuis des siècles la

confiance des hommes envers Dieu et les empêche

de comprendre quel fut vraiment le sens de la venue

sur Terre de Jésus. En tant que théologien, vous avez

vous-même parfaitement mesuré ce problème

puisque, à la page 189 de votre livre, vous évoquez

« la lumière sinistre » dans laquelle l’image de Dieu

est plongée par cet enseignement. C’est pourquoi

vous essayez, avec une grande virtuosité théologique,

de relativiser ces aspects en faisant appel à la

notion de « satisfaction » telle que la définit Anselme

de Canterbury (en fait on peut déjà faire remonter à

216

Paul cette notion) et en faisant valoir que ces aspects

ne trouvent pas confirmation dans les évangiles.

Ainsi, pour vous, s’il est question du sang de la

réconciliation dans l’Epître aux Hébreux, il ne faudrait

pas comprendre cela « comme un don matériel,

comme un moyen d’expiation à mesurer de manière

quantitative », mais tout simplement comme « la concrétisation

de l’amour, dont il est dit qu’il va jusqu’à

l’extrême. » (p. 236)

Ceux qui croient en un Dieu aimant et prennent au

sérieux le message de Jésus, ne peuvent pas considérer

sa mort comme un holocauste de type païen,

mais comme l’expression de sa fidélité absolue à la

mission qui était la sienne et qui consistait à annoncer

le royaume de Dieu à l’humanité et à oeuvrer à l’avènement

du Royaume de paix sur la Terre. Si l’Eglise

partage cette conviction quant à la nature de la vraie

mission de Jésus, pourquoi n’a-t-elle pas encore

abandonné ce mythe païen du sacrifice dans son

enseignement officiel ? Je vous rappelle que la

dernière version du Cathéchisme de l’Eglise catholique

ne date que de 1992. Une Eglise qui aussi bien

dans son cathéchisme qu’à travers des milliers de

textes de recueillement et de prières, invite à vénérer

le Fils de Dieu comme un holocauste nécessaire, peutelle

encore sérieusement se réclamer de Lui ?

217

Par ailleurs, comment une Eglise peut-elle faire d’une

formule religieuse comme « Agneau de Dieu, qui

enlève les péchés du monde » un mantra et en même

temps menacer de la damnation éternelle tous ceux

qui trébuchent dans la casuistique de son enseignement

des péchés mortels ? Dans ma jeunesse, cela

pouvait arriver si par exemple on lisait un livre mis à

l’Index, si on embrassait une fille avec un peu trop

de fougue ou si on ne se rendait pas plusieurs fois

de suite à la messe du dimanche. Bien sûr, les

choses ne se passent plus ainsi de nos jours,

cependant une grande partie des chrétiens d’Eglise

sont encore aujourd’hui, selon l’enseignement

ecclésiastique, assez proches du gouffre qui mène

à l’enfer éternel.

Je ne souhaite pas ici défendre une quelconque « dictature

du relativisme », mais exprimer mon indignation

au nom de Jésus et de son Père - qui est aussi le

nôtre et nous aime infiniment -, quand sa bonté toutepuissante

est offensée parce qu’on lui attribue à tort

le projet de damner pour l’éternité une grande partie

de l’humanité. Origène, grand théologien des premiers

temps du christianisme, savait parfaitement qu’à la

fin des temps tous les hommes retourneront à Dieu

(« Apocatastase »). Cependant, lors du Concile de

Constantinople, en 553, l’Eglise catholique rejeta

l’enseignement d’Origène, non pour des raisons théo218

logiques ou spirituelles sérieuses mais essentiellement

parce que l’empereur Justinien, épris d’ordre, voulait

étouffer dans l’oeuf un différend religieux sur la

préexistence de l’âme humaine et la rédemption par le

Christ de toutes les âmes et de tous les hommes,

susceptible de mettre à mal l’unité de l’empire. C’est

pourquoi il n’hésita pas à jeter l’anathème sur Origène

et son enseignement et, par-là même, sur une partie

essentielle du message du Christ. Ce faisant, l’Eglise

d’Etat romaine rejeta la vision d’un Dieu-Père aimant

qui ne damne personne et sou-haite ramener dans la

patrie éternelle toutes les âmes et tous les hommes,

toute la création déchue. Dès lors, l’Eglise brandit une

arme des plus efficaces : la menace de la damnation

éternelle qu’elle employa avec succès au cours des

15 siècles qui suivirent. Elle a également servi de base

à l’inquisition et aux croisades qui coutèrent la vie à

des millions de personnes.

Comment une Eglise peut-elle se réclamer de Jésus de

Nazareth alors que, sur une question aussi essentielle

que celle-là, elle ne se réfère pas à lui mais à

d’autres enseignements ? Très peu de catholiques

savent par exemple que la profession de foi apostolique

n’a jamais été écrite par des successeurs de

Jésus au début du christianisme, pas même par des

théologiens, mais qu’elle est l’oeuvre de différents empereurs

romains, Justinien étant l’un d’entre eux. Ce

219

processus débuta en 325, au concile de Nicée, convoqué

par l’empereur Constantin dans le but d’aplanir

le premier grand conflit théologique de l’histoire chrétienne

opposant Arius à Athanase. Il s’agissait de

savoir si Jésus, le Christ, était lui-même Dieu (de

même nature que Dieu) ou s’il était fils de Dieu (de

nature similaire à Dieu). Ce n’est pas un pieux

successeur du Christ, mais un empereur romain nonbaptisé

qui décréta que le Christ était de même nature

que Dieu et qui contribua grandement à décider du

contenu de la profession de foi catholique encore

valable de nos jours. Si Jésus a dit : « Le Père et

Moi sommes un », il n’a jamais dit : « Je suis moimême

Dieu », comme on le prie chaque dimanche à

l’Eglise depuis Constantin.

Vous savez mieux que moi que bien d’autres articles

de foi sont nés de manière comparable : par exemple

le dogme de la Trinité et celui faisant de l’Eglise la

seule et unique dispensatrice du salut. Là encore,

c’est un empereur romain, Théodose, qui, lors du

concile de Constantinople en 381, décida par un acte

d’autorité de la définition de ce dogme. Il convoqua le

concile ainsi que l’un de ses juristes que l’on se

dépêcha de baptiser à la va-vite. Immédiatement

après, celui-ci fut ordonné prêtre et promu métropolite.

Affublé de ce titre, il put conduire les travaux du

concile et formuler par écrit de manière juridiquement

220

correcte le dogme de la trinité. Dans le même temps,

l’Eglise fut déclarée « sainte » et « apostolique » et

ses moyens pour obtenir la grâce furent proclamés

instruments de salut de la nouvelle religion d’Etat.

Les textes adoptés par Théodose et son juriste font

aujourd’hui encore partie du credo de toutes les confessions

chrétiennes. Pour autant cela n’a rien de

chrétien, car le Christ ne l’a jamais souhaité. Cela

est strictement d’origine catholique-romaine.

Vous pourriez m’objecter que cela ne me concerne

en rien puisque je ne suis pas catholique et par conséquent

nullement obligé de croire en ce credo.

Toutefois, cette objection ne sera pas valable tant

que l’Eglise catholique continuera de prétendre qu’elle

est la seule et unique représentante du christianisme

et n’admettra pas qu’Eglise et christianisme sont

deux choses bien distinctes.

J’en viens maintenant à la question névralgique du

comportement de votre Eglise envers les chrétiens

qui ne comptent pas parmi vos adhérents et qui

veulent suivre le Christ de Dieu en dehors du

système religieux ecclésiastique. Cette question se

rapporte en quelque sorte à votre champ d’action de

prédilection en tant qu’ancien préfet de la Congrégation

pour la doctrine de la foi, dans la succession de

l’inquisition ecclésiastique. D’ailleurs, vous ne niez

221

pas cette filiation, bien au contraire, puisqu’en mars

2005, vous avez déclaré ce qui suit sur les ondes de

Radio Berlin-Brandenburg : « L’expression « Grand

inquisiteur » est une expression marquée sur le plan

historique. Mais quelque part, nous sommes dans

cette continuité. » Quand on entend cela, on commence

à s’interroger et on le fait davantage encore

en entendant ce que vous dites ensuite puisque vous

affirmez sans détour qu’il convient « cependant de

dire » que l’inquisition était un véritable progrès pour

son temps, car plus personne ne pouvait être

condamné sans avoir subi au préalable un inquisitio,

c’est-à-dire un interrogatoire. Tout en vous exprimant

ainsi, il semble que vous aviez malgré tout conscience

de la manière dont ces examens étaient effectués, à

savoir au moyen de méthodes d’une violence inouïe,

puisque vous avez pris la peine d’indiquer que « les

méthodes du passé étaient en partie critiquables .»

En prenant connaissance du contenu de cette interview,

on en viendrait presque à se demander si vos

propos n’ont pas fait l’objet d’une manipulation ou d’une

déformation technique tant on a du mal à y croire.

En tout cas, je me permets de vous demander jusqu’à

quel point on peut regarder comme fiable la déclaration

du Concile Vatican II sur la liberté de religion.

La question ne se pose pas seulement parce que

l’Eglise a attendu 1965 pour renoncer au droit et au

222

« devoir de réprimer les erreurs religieuses et morales »

(Pie XII) mais surtout parce que cette déclaration, à

mettre en relation avec d’autres documents de l’Eglise,

est elle-même motif à suspicion quand on y lit que

« l’enseignement catholique traditionnel concernant le

devoir moral des hommes et de la société envers la vraie

religion et l’unique Eglise du Christ reste intact. »

En l’occurrence, l’Eglise ne s’est pas contentée de

faire respecter le devoir auquel il est fait allusion sur

le seul plan « moral » mais elle a aussi et toujours

utilisé la loi à cet effet.

Dans ces conditions, vous comprendrez que l’on

puisse s’inquiéter de voir figurer aujourd’hui encore

parmi les documents officiels de l’Eglise, la lettre

adressée à l’archevêque de Munich par le pape Pie

IX dans laquelle il indique que l’Eglise « doit méticuleusement

écarter, extirper tout ce qui est contre la

foi ou qui pourrait porter dommage au salut de l’âme. »

Tant que ce document gardera force de loi au sein

de l’Eglise catholique, le droit d’exclusivité que celleci

s’est approprié en la matière, ne sera pas menacé.

C’est ainsi que le psychologue et philosophe Karl

Jaspers a dit un jour qu’en raison de ce droit, l’Eglise

« serait constamment prête à rallumer les bûchers

pour les hérétiques. » C’est pourquoi, un chrétien vivant

sa foi en dehors de l’Eglise, ne pourra pas se

contenter de déclarations de bonnes intentions en la

223

matière. Au nom de Jésus et des droits de l’homme, il

exigera que l’Eglise renonce une bonne fois pour toutes

à ses dangereuses prétentions hégémoniques car

elles portent en elles les germes de l’agressivité et de

la violence. Vos déclarations en faveur de la réconciliation

de toutes les familles du christianisme sont bien

connues. Aujourd’hui, vous pouvez passer des déclarations

aux actes et, d’un simple trait de plume papal,

contribuer grandement à un rapprochement.

A cet égard, un nouvel « édit de tolérance » signé du

Pape aurait de nombreux effets salutaires. Il contribuerait

non seulement au rapprochement des différentes

communautés religieuses, mais permettrait de

surcroît qu’un courant d’Esprit Saint - qui, c’est bien

connu, souffle là où Il veut et ne supporte pas

longtemps l’étroitesse du carcan théologique dogmatique

- s’engouffre dans l’Eglise et la régénère.

Comment se peut-il que personne dans le milieu

ecclésiastique n’ait encore remarqué que les dons

de guérison et de prophétie, dont l’Evangile parle à

plusieurs reprises, soufflaient dans les premières

communautés chrétiennes et que le courant prophétique,

à quelque exception près, ne s’est jamais manifesté

au sein de l’Eglise mais toujours extra muros,

où il fut pourchassé par le feu et l’épée ?

Vous le savez, Karl Rahner lui-même a longuement

traité de la possibilité de « révélations privées », pri224

vées signifiant ici qu’elles ne se manifestent pas au

sein de l’Eglise car celle-ci fait peu de cas des révélations

données par le monde divin. Ce faisant,

l’Eglise fait valoir, ici aussi, un droit à l’exclusivité

qu’elle exerce dans ce cas, non seulement envers les

hommes mais également envers l’Esprit de Dieu.

Peut-on sérieusement imaginer que Dieu se soit tu

pendant deux mille ans alors qu’Il s’est révélé de tout

temps par la parole prophétique ?

Nombreux sont ceux qui sont convaincus qu’aujourd’hui

à nouveau un prophète - en fait, il s’agit d’une

prophétesse - vit parmi nous et qu’à travers elle une

oeuvre de révélation divine et une communauté mondiale

dans l’esprit du christianisme des origines ont

vu le jour. J’invite les personnes incrédules à parcourir

votre livre, cité ici à plusieurs reprises. Au chapitre

« doute et foi » vous décrivez, en reprenant la parabole

du clown et du cirque en feu de Kierkegaard, la

situation du croyant qui alarme les pompiers sans que

ceux-ci le prennent au sérieux car il est vêtu en habit

de clown. Dans votre texte, le clown symbolise le théologien.

Il suffirait de remplacer le terme « théologien »

par le mot « prophète » pour que vos paroles : « …de

la pesante impossibilité de rompre les modèles de pensées

et d’expression » (page 18) prennent une nouvelle

dimension et deviennent très actuelles. Les « villageois

inconscients » que rencontre le clown dans la

225

parabole de Kierkegaard symboliseraient alors les

pratiquants inconscients face au prophète. Dans le

« dilemme de la foi », sa révélation n’aurait pas moins

de force que le dogme des théologiens car, comme

vous le dites très justement, « …même si l’incrédulité

a l’impression de se voir confirmée, il lui reste un étrange

sentiment de ´c’est peut-être vrai malgré tout`. Le

´peut-être` est le motif d’une inévitable réflexion… Le

croyant et l’incrédule ont chacun, à leur manière, part

au doute et à la foi lorsqu’ils ne se cachent ni devant

eux-mêmes, ni devant la vérité de leur Être. Aucun

d’eux ne peut échapper totalement ni au doute ni à la

foi. » (page 23 f)

Lorsqu’ils ont été confrontés à un prophète, les hommes

ont toujours dû faire face à ce dilemme en matière

de foi. De tout temps, ils réagirent par le rejet, et

parmi eux, les prêtres plus que tout autre. Ceux-ci

sont détenteurs de la tradition alors que les prophètes

apportent la révolution. C’est une raison suffisante

pour que les seconds aient toujours été suspects aux

yeux des premiers. Et il en fut ainsi également lorsque

le Fils de Dieu lui-même vint sur la Terre et plus

tard lorsque des hommes et des femmes éclairés,

mystiques et visionnaires menacèrent, par leur existence

même, d’ébranler le système dogmatique figé

de l’Eglise. Leur sort fut bien souvent comparable à

celui du Christ ressuscité tel que le décrit Fedor Dos226

*Dostoïevski « Les Frères Karamazov » Editions Gallimard,

folio classique

toïevski dans la légende du « Grand Inquisiteur »

extraite des «Frères Karamazov». Voilà ce que le prince

de l’Eglise lui susurre à l’oreille : « Nous avons corrigé

ton oeuvre en la fondant sur le miracle, le mystère et

l’autorité. Et les hommes se sont réjouis d’être de nouveau

menés comme un troupeau... Pourquoi donc venir

entraver notre oeuvre ?... Nous ne sommes pas avec

toi mais avec lui, depuis longtemps déjà. Il y a juste

huit siècles que nous avons reçu de lui ce dernier don

que tu repoussas avec indignation, lorsqu’il te montrait

tous les royaumes de la terre ; nous avons accepté

Rome et le glaive de César, et nous nous sommes

déclarés les seuls rois de la terre… » (p. 358)*

Un tel scénario pourrait à coup sûr se répéter de nos

jours si un prophète nouveau venait à cheminer sur

la Terre, à l’écart de l’institution ecclésiastique et de

sa cohorte de rites et de dogmes, seulement désireux

d’en revenir aux sources de l’enseignement de Jésus.

Serait-il pris au sérieux par le Pape ou traité comme

l’est le Christ dans la nouvelle de Dostoïevski ? A

moins qu’il ne soit exposé à la risée générale, comme

le clown dans la parabole de Kierkegaard qu’on refuse

d’écouter par bêtise et ignorance, alors qu’il serait

encore possible de sauver le chapiteau.

227

Une personne ouverte intellectuellement, ne rejettera

pas d’emblée la possibilité que le monde spirituel divin

puisse adresser aux hommes de notre époque

de tels messages d’avertissement. Tout en conservant

son scepticisme éventuel, elle examinera une

telle hypothèse de façon rationnelle, partant du principe

que le fait d’en nier l’éventualité à priori lui ferait

prendre le risque de passer à côté de la vérité. Si

ses recherches restent infructueuses, elle n’aura fait

que perdre un peu de temps et d’énergie. Par contre,

si ses observations la conduisent à vérifier la pertinence

de la prophétie en question, elle aura, par son

comportement, évité de passer à côté d’un danger.

Aussi, je me permets de vous adresser la reproduction

d’un des messages d’avertissement qui nous ont

été communiqués à notre époque par la parole prophétique

et je joins également à cette lettre une brochure

intitulée « les grands enseignements cosmiques

de Jésus de Nazareth à Ses apôtres et disciples qui

pouvaient les saisir ». Il ne s’agit en fait que d’un court

extrait d’une grande oeuvre de révélation, dans laquelle

on trouvera des explications uniques sur l’origine et la

naissance de la Terre et sur l’apparition de la vie sur

notre planète, sur les interactions entre l’esprit et la

matière, le corps et l’âme, la santé et la maladie. De

plus il y est révélé beaucoup de choses ignorées

228

jusqu’alors sur la vie et l’enseignement du Nazaréen.

C’est l’Esprit de Dieu lui-même qui rectifie les erreurs

véhiculées sur Jésus de Nazareth et qui révèle ce qui

nous a été caché jusqu’ici. Il nous parle également

de l’amour de Jésus pour les animaux. De plus, ses

révélations apportent des réponses aux questions que

chacun de nous se pose sur le sens et le but de la vie

sur Terre, sur la signification véritable de l’acte de

rédemption de Jésus, sur la loi des semailles et des

récoltes, sur la vie de l’âme après la mort du corps,

sur le futur de l’humanité, sur le Royaume de paix en

devenir, et sur bien d’autres choses encore.

J’ignore si cette lettre parviendra jusqu’à vous. Si Dieu

le veut, il en sera ainsi. Vous pourrez alors apprécier

par vous-même l’intérêt éventuel de mes questions

ainsi que la considération de ce qu’il convient d’accorder

à l’hypothèse que le monde divin puisse s’exprimer

à notre époque, comme il le fit par le passé.

Concernant les aspects soulevés par ma lettre ainsi

que pour toutes les autres décisions importantes que

vous aurez à prendre au long de votre pontificat et

de votre vie, je vous souhaite, la bénédiction de Dieu

et la conduite du Christ.

C’est dans cet esprit que je vous salue en tant que

votre frère en Christ.

229

19 juillet 2005

Très cher Pape Benoît,

Permettez-moi de revenir sur la lettre détaillée que je

vous ai adressée le 02 mai 2005.

J’ignore pour quelle raison celle-ci est restée sans

réponse jusqu’à ce jour. Je ne pense pas que cela

soit imputable à une mauvaise organisation ou à un

manque de temps et de moyens de votre secrétariat

d’Etat puisque dernièrement encore, celui-ci a trouvé

le temps d’adresser les sincères remerciements du

Vatican aux fabricants et distributeurs d’ours en peluche

à votre effigie, comme la presse s’en est fait

l’écho. Le pape représenté sous la forme d’un ours

en peluche, « précieuse peluche de mohair bouclée

blanche, au remplissage classique à la fibre et à l’habillement

coûteux.», c’est certes beaucoup plus agréable

et sympathique que les questions critiques posées

par un chrétien qui s’interroge sur les contradictions

entre l’enseignement de l’Eglise et celui de Jésus.

Ma lettre est sans doute passée directement de son

enveloppe décachetée à la corbeille à papier d’un

prélat zélé à moins qu’ayant franchi cet obstacle, elle

230

ait été considérée comme un crime de lèse-majesté

dans des cercles plus élevés. Par mesure de précaution,

j’en joins ici une copie. Parallèlement, je l’adresserai

également à quelques cardinaux allemands et

italiens qui porteront peut-être plus d’attention à mes

questions. Une chose est sûre, je donnerai à cette

correspondance un prolongement sur Internet car il

s’agit de questions d’intérêt général. En effet, l’Eglise

dont vous êtes l’autorité suprême se réclame du

Christ et beaucoup de personnes pensent qu’elle le

fait de façon abusive. A l’issue de vos cent premiers

jours de pontificat, vous avez déjà clairement signifié

que vous n’étiez aucunement disposé à replacer votre

Eglise dans la filiation de Jésus de Nazareth, ne seraitce

que de façon progressive.

La rapidité avec laquelle vous affirmez vouloir canoniser

votre prédécesseur semble le confirmer. En tant

que théologien, et donc en tant que personne versée

dans l’histoire, vous savez mieux que moi que le culte

des saints et des reliques n’a absolument rien à voir

avec Jésus, le Christ, mais qu’il a pour origine d’anciens

cultes de mystères païens, repris plus tard à

son compte par l’Eglise. Ainsi en est-il du culte catholique

des reliques consistant à vénérer les ossements

de personnes disparues et à les utiliser pour des

« guérisons miraculeuses ». Selon la Bible, Un seul

231

est saint, le « Seigneur des légions célestes » (Isaïe).

Le culte des personnes qui s’exerce dans le cadre

de la vénération des saints par l’Eglise catholique

romaine est donc un acte sacrilège. Il l’est d’autant

plus lorsqu’on examine en détail la liste des personnes

canonisées ou vénérées comme telles. Ainsi en

est-il par exemple de l’empereur Constantin qui décima

sa propre famille ou de Bernard de Clairvaux

qui appela aux croisades et donc au meurtre et de

beaucoup d’autres qui, en raison de leurs actes

cruels au service de l’Eglise ont reçu « les honneurs

de l’Autel.»

Non content de faire accélérer un processus de canonisation

dont on est en droit de nier le caractère

véritablement chrétien, vous intensifiez également la

pratique de l’exorcisme. En effet, si l’on en croit

l’agence de presse catholique, l’université catholique

Regina Apostolorum de Rome propose désormais

des cours d’exorcisme. Selon cette école, la « fascination

du diable » serait en marche, justifiant ainsi

cette offre inhabituelle. Alors que certains rites

propres au culte des saints peuvent prêter à sourire,

il en va tout autrement dans le cas de l’exorcisme.

Vous avez sans doute été informé du fait que cette

pratique a coûté la vie à plusieurs personnes, il n’y

pas si longtemps encore, et qu’elle a laissé à d’autres

232

de graves séquelles physiques et morales. La

pratique de l’exorcisme n’est pas sans rappeler les

cérémonies du vaudou africain au cours desquelles

il est fait appel aux forces astrales. Permettez-moi

de vous demander dans quel univers évolue le Vatican

? Le fait que depuis le Moyen-Age, la plupart des

gens ait appris à accepter les agissements de l’Eglise

ou à s’en désintéresser totalement, conduit l’opinion

à se taire alors qu’un cri d’indignation devrait au contraire

s’élever lorsqu’une personne comme le Pape

encourage, au 21ème siècle, des pratiques assimilables

à de la magie et susceptibles de mettre en péril

la vie de certaines personnes ou tout au moins de

porter atteinte à leur intégrité psychique. Si la magie

grandit, faut-il en déduire que la spiritualité décroît ?

Un psychologue pourrait faire remarquer que plus un

sujet refoule sa part d’ombre, plus le diable a

d’emprise sur lui.

L’une des nombreuses déclarations que vous avez

faites depuis le début de votre pontificat est extrêmement

instructive à cet égard. Vous déclarez en effet

que : les « pseudo-couples de personnes du même

sexe », tout comme les « couples non-mariés » et les

« couples d’occasion » sont une manifestation de la

banalisation du corps humain. Pourtant, dans le

même temps, le cardinal allemand Lehmann s’expri233

mant sur une chaîne de télévision allemande, encourage

le don d’organes, conformément aux conceptions

actuelles de l’Eglise. Dans ces conditions, permettez-

moi cette question : qu’est-ce qui favorise le

plus la banalisation du corps humain ? Est-ce le fait

que deux personnes choisissent de vivre ensemble,

sans la bénédiction de l’Eglise ou n’est-ce pas plutôt

l’utilisation de personnes mourantes comme réserves

de pièces détachées ?

Je ne voudrais pas me montrer insolent, mais je ne

peux m’empêcher de penser que vous devriez faire

preuve d’une plus grande retenue dans vos jugements

sur la banalisation du corps humain, compte

tenu des révélations toujours plus nombreuses sur

les dérives pédophiles au sein de l’Eglise catholique

ou de la banalisation de la sexualité dans les séminaires

de formation des prêtres comme dans le cas

de St-Pölten, en Allemagne.

Si vous preniez la peine de me répondre, je ne doute

pas que vous me diriez que l’Eglise désapprouve de

tels faits. Et c’est en effet le cas… en paroles.

Pourtant, vous-même, cher Pape Benoît, vous êtes

soupçonné d’avoir soustrait systématiquement à la

justice des personnes sur qui pèsent de tels

reproches. Au mois d’avril 2005, est paru dans la

presse britannique un article ayant pour titre

234

« Pope`obstructed` Sex abuse inquiry » (le Pape

empêche une enquête sur des abus sexuels). Selon

son auteur, dans le cadre de vos fonctions comme

préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi,

vous auriez adressé une missive secrète à chaque

évêque catholique pour leur ordonner la mise sous

scellé de toutes les enquêtes pour pédophilie au sein

de l’Eglise. Selon le droit allemand, il s’agit ni plus ni

moins d’une incitation d’entrave à la justice (conf. §

258 StGB). Si vous n’étiez pas Pape, et à ce titre

chef d’Etat, vous pourriez, lors de votre prochain

séjour en Allemagne, faire l’objet d’une instruction

judiciaire engagée par le ministère public.

Il est probable que mes propos vont indisposer les

membres de votre secrétariat et que ma lettre risque

fort de rejoindre une corbeille à papier, si ce n’est

déjà fait. Pourtant, n’en déplaise à quiconque, je n’ai

fait que rappeler la loi. Et si l’article publié par l’ « Observer

» et le « Guardian » est entaché de fautes, d’erreurs

ou de mensonges, pourquoi le Vatican ne les a-t-il

pas démentis ?

Par ailleurs, que répondez-vous aux 80 prêtres catalans

qui, dans une lettre ouverte, réclament votre

démission ? Cette lettre a été publiée dans le journal

La Vanguardia de Barcelone, le 20 juin 2005, Ses

auteurs, soutenus par plusieurs forum de prêtres du

sud et du nord de la Catalogne, réclament parallè235

lement la réhabilitation de tous les théologiens qu’en

tant que responsable de la Congrégation pour la

doctrine de la foi, vous avez privés de leur droit à la

parole au sein de l’Eglise. Les auteurs de cette lettre

ouverte expliquent leur démarche par le désir de voir

l’Eglise en revenir à l’esprit de l’Evangile. C’est

également pourquoi ils condamnent le « spectacle fait

autour de la mort de Jean-Paul II et de votre élection.

» Selon eux, cela n’est « ni chrétien, ni constructif

». » Par ailleurs, ils considèrent la présence de chefs

d’Etat dont certains soutiennent le recours à la guerre

et à la dictature ou portent une lourde responsabilité

dans le développement de la famine dans leur pays,

comme incompatible avec Jésus de Nazareth, pas

plus que la débauche de luxe déployée par les autorités

écclésiastiques à cette occasion. » Pour finir, les

auteurs de cette initiative vous demandent de ne plus

vous faire appeler « Saint-Père, Pontifex Maximus

et sa Saintété. »

Les prêtres qui s’adressent à vous de la sorte ne sont

pas des opposants à l’Eglise, mais considèrent qu’ils

ont un devoir moral envers le Nazaréen. Qu’aurait

pensé Jésus de cette lettre ? Comment le Ressuscité

verrait-il toute cette affaire ? Vous considérant

comme le représentant du Christ et de Dieu sur la

Terre, la réponse que vous allez donner à ces prêtres

236

sera particulièrement importante. Pour notre part,

nous pensons que vous devriez approuver la démarche

de ces amis du Christ. Si vous ne le faisiez pas

ou si vous considériez cette requête que vous adressent

vos frères comme une insubordination, vous

agiriez alors en adversaire de Dieu, bien qu’immédiatement

après votre élection, vous ayez déclaré vouloir

vous comporter en « humble serviteur dans la vigne

du Seigneur.» Il est vrai qu’il est sans doute difficile à

quelqu’un qui se fait appeler Pontifex Maximus et

Saint-Père de ne pas perdre contact avec la réalité. Et

quand, de surcroît, cette personne prétend s’exprimer

au nom du Christ, elle expose son âme à d’extrêmes

tensions schizophréniques.

Les cent premiers jours de votre pontificat ont déjà

mis en évidence de tels symptômes schizophrènes.

C’est particulièrement vrai en ce qui concerne l’appel

que vous avez lancé suite aux actes terroristes de

Londres. Ainsi, « au nom de Dieu », vous avez appelé

les terroristes à la paix. Pour ne pas s’étrangler d’indignation

face à une telle démarche, il faut vraiment

ne pas connaître l’histoire. Etes-vous à ce point ignorant

du passé pour ne pas savoir que c’est précisément

par la formule « au nom de Dieu », que l’un de

vos prédécesseur, le pape Urbain II, a inauguré la

première croisade contre le monde islamique, promet237

tant à chaque croisé tombé « au combat contre les

païens », le pardon de tous ses péchés.

Les termes utilisés par votre prédécesseur, il y a 900

ans, ressemblent presque mot pour mot à ceux

formulés par les fondamentalistes musulmans dans

leur appel au Djihad. Ainsi, il semble bien que les

abominations perpétrées par des chrétiens à l’encontre

du monde musulman, à cette époque et au cours

des siècles qui suivirent, ne soient pas tombées dans

l’oubli. Les dirigeants d’Al-Quaida rappellent souvent

la cruauté des chrétiens qui, à Jérusalem, assassinèrent,

pillèrent, avant d’aller s’agenouiller devant la

tombe du Rédempteur. Déjà à cette époque, les

méfaits de votre Eglise empoisonnaient l’histoire du

monde. Votre prédécesseur, Jean-paul II, ne s’en est

pas sérieusement excusé, lui qui s’est lavé de cette

faute sur le dos de quelques chrétiens dévoyés.

L’énergie satanique émise à cette époque par l’Eglise

contre le monde musulman se retourne aujourd’hui

contre l’Occident tout entier. Bien entendu, cela ne

justifie en rien les actes abominables commis à New-

York, Madrid, Londres ou ailleurs, mais il est proprement

insupportable et scandaleux que ce soit précisément

le représentant de l’organisation qui porte la

plus grande part de responsabilité dans le cours

sanguinaire de l’histoire du monde, qui adresse un

appel à l’Orient, agissant comme un pyromane aux

238

yeux de ceux pour qui les attentats-suicides sont une

réaction face aux humiliations incessantes que l’Occident

chrétien leur a fait subir.

N’aurait-il pas été politiquement plus avisé et cela ne

serait-il pas depuis longtemps un devoir, d’un point de

vue éthique, que le nouveau pape saisisse ces évènements

comme une occasion d’adresser au monde

musulman des excuses sincères pour les nombreuses

meurtrissures que l’Occident chrétien lui a infligées.

Il aurait pu, par la même occasion, s’engager

à venir en aide aux victimes de la misère matérielle

en mettant à leur disposition une partie des immenses

richesses de l’Eglise. En l’occurrence, il ne s’agirait

que d’un juste retour des choses puisqu’une

grande partie de ces richesses provient directement

ou indirectement de vols et de pillages commis dans

le monde entier. Il aurait également pu sommer le

président américain et le premier ministre britannique

de tout mettre en oeuvre pour faire cesser immédiatement

les actes de discrimination religieuse et de

torture commis à l’encontre de prisonniers musulmans

détenus dans des conditions arbitraires. Alors

seulement, l’appel du pape à la paix au Moyen et au

Proche-Orient ne serait pas ressenti comme une provocation

des descendants de croisés. Lorsque le

pape se place sur le devant de la scène, comme vous

239

venez de le faire, nourrissant secrètement sans doute

l’illusion de peser encore sur les affaires du monde,

alors cela ne concerne pas seulement les catholiques

mais l’ensemble de nos contemporains, car nous

sommes tous menacés par la rage haineuse des terroristes

poussés à la provocation par les initiatives

inconsidérées du Vatican, même si, cela va de soi,

les attentats barbares d’aujourd’hui ne sauraient être

justifiés par les crimes et les humiliations d’hier.

De fait, vos actes et vos paroles n’ont pas seulement

des conséquences pour les catholiques. En effet,

quand le pape s’exprime au nom de la chrétienté, tous

ceux qui se reconnaissent en Jésus, le Christ, sont

également concernés – même s’ils évoluent hors des

institutions ecclésiastiques – et ressentent combien

ce que prêche l’Eglise et la façon dont elle se comporte

ont peu à voir avec Lui. C’est pourquoi je m’autorise

à m’adresser ainsi publiquement à vous. Et je le

ferai de nouveau à l’avenir, même si ma lettre devait

ne pas vous parvenir ou rester ignorée.

C’est à vous de décider si, du haut de votre sainteté

et de votre infaillibilité papale, vous choisissez d’éviter

les questions gênantes et préférez limiter votre

communication avec le monde extérieur à des dialogues

diplomatiques sans conséquences. Quand le

ministre des finances allemand reçoit votre bénédiction

à l’occasion de l’édition d’un timbre à votre effigie,

240

il ne vous entretient certainement pas des subventions

de plusieurs milliards que l’Etat allemand verse

à votre Eglise et auxquelles il ne pourra bientôt presque

plus faire face. Mais qu’un contribuable moyen

comme moi vous fasse remarquer que les Allemands

ne peuvent plus continuer à payer des impôts servant

à subventionner la bureaucratie d’une Eglise que

les croyants désertent en masse, cela ne mérite que

mépris et ignorance. Lorsqu’en août vous irez vous

faire acclamer par la jeunesse lors de prochaines

JMJ, vous ne risquerez pas de voir un doigt catholique

se lever pour vous demander pourquoi l’Eglise

protège inconditionnellement la vie avant la naissance

mais permet qu’elle soit détruite dans le cadre de ce

que vous appelez la « guerre juste » ou encore pourquoi

vous interdisez l’usage des préservatifs alors

que cela a de graves conséquences dans le Tiers-

Monde sur le plan de la faim, de la propagation du

sida et donc de la mort de beaucoup d’hommes et de

femmes.

C’est pourquoi, un citoyen comme moi qui se sent

relié à Jésus de Nazareth est en droit de vous poser

ce genre de questions.

Je vous salue en Christ jusqu’à la prochaine fois.

Christian Sailer

Nº de référence: S 371 fr

1ère edition en français : juin 2006

© Verlag DAS WORT GmbH

Max-Braun-Straße 2,

97828 Marktheidenfeld, Allemagne

Internet: http://www.la-parole.com

e-mail: info@das-wort.com

Traduit de l’allemand

Traduction autorisée par

les éditions Verlag DAS WORT GmbH

Titre original en allemand :

»Nur für kluge Köpfe und gute Analytiker.

Wer sitzt auf dem Stuhl Petri?«

Pour toute question se rapportant au sens,

l’édition allemande fait référence

Photos p. 176, 178, 181, 184, 185,

archives privées

Tous droits réservés

ISBN: 3-89201-227-X

Impression:

Santec Studio und Druckerei GmbH,

Marktheidenfeld, Allemagne

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