187
conditions la question suivante s’impose : qui se cache
derrière le Saint-Siège ? A cette question, le lecteur de
cette brochure pourra répondre de lui-même.
Quant à lui, le grand écrivain russe, Léon Tolstoï, a
déjà évoqué ce sujet dans un conte intitulé « L’enfer
reconstruit »*. Ce texte figure dans un ouvrage posthume
publié par son fils Léo, ce qui lui valut d’ailleurs de
subir l’accusation de blasphème lors de la parution de
ce récit dans lequel Tolstoï nous conte ce qui suit :
Après la crucifixion et la mort physique de Jésus au
Mont Golghota, Satan, père et souverain des enfers,
perdit son pouvoir sur les hommes et fut exilé dans un
profond ravin dont il ne pouvait s’extraire car il était
entravé aux pieds. Sur la Terre les hommes « étaient
parfaitement heureux... Il n’y avait entre eux ni haine, ni
colère... Tout était en commun. Ils ne se défendaient pas
contre les assauts de leurs ennemis, et payaient le mal
par le bien. Leur vie était si belle que d’autres, de plus
en plus nombreux, venaient sans cesse se joindre à
eux...» Il semblait qu’il ait définitivement perdu la partie :
« Un siècle passa, puis deux, puis trois...» quand
soudain « ... une foule de démons, se poussant les uns
les autres, s’abattirent sur le souverain comme une nuée
* Léon Tolstoï : «Oeuvres posthumes» Editions Bossard.
Paris 1925
188
de corbeaux sur la charogne. » Etonné, Satan leur
demanda : « Que signifie tout ce bruit ? Qu’y a-t-il donc
là-haut ? » Et le chef des démons, revêtu d’une pèlerine,
de lui répondre : « La même chose qu’avant. » Mais,
s’étonna Satan « Et l’enseignement de Celui que je ne
veux pas nommer ? » « Cet enseignement ne nous
dérange plus » répondit le démon en pèlerine « les
hommes n’y croient plus... J’ai travesti Sa doctrine... et
le résultat de mes travaux, c’est que les hommes ne
croient plus en son enseignement mais au mien, tout en
donnant à celui-ci le nom de celui-là. »
« Et comment t’y es-tu pris ? » demanda Satan. « J’ai
décidé de créer l’Eglise. » lui répondit le démon en pèlerine.
« Mais qu’est-ce que l’Eglise ? » demande Satan
qui l’ignorait. Voici la réponse qu’on lui fit :
« L’Eglise est ceci : Quand les hommes mentent, et
quand ils sentent qu’on ne les croient pas, ils en appellent
à Dieu, en disant : « Dieu m’est témoin que la vérité est
ce que je dis. » Il y a encore cette particularité que les
hommes qui se disent de ‘l’Eglise’ prétendent qu’ils ne
peuvent se tromper. C’est pourquoi aucune erreur sortant
de leur bouche ne peut être abjurée par eux. L’Eglise
s’édifie de cette sorte : les hommes proclament que, pour
éviter les fausses interprétations de la Loi divine, leur
Maître fit choix de quelques-uns qui, seuls, avec ceux
auxquels ils ont délégué leur pouvoir, peuvent commenter
sa parole... ils ont cet avantage que, s’étant proclamés
189
‘Eglise’ et ayant sur cette base fondé un enseignement,
la foi s’impose jusque dans l’absurde... »
Comme on le voit, Tolstoï avait une idée très précise
sur l’origine de l’Eglise. Celle-là ne résulte d’ailleurs
nullement de son inspiration romanesque mais bien
plutôt de sa longue expérience dans la fréquentation de
l’Eglise et de son enseignement dont voici un exemple :
« … le sens des dogmes sacrés qui doit être conservé
à perpétuité est celui que notre Mère la sainte Eglise
a présenté une fois pour toutes et jamais il n’est loisible
de s’en écarter sous le prétexte ou au nom d’une compréhension
plus poussée.» *
On se rappelle également du passage rapporté plus
haut : « quelqu’un qui rejette toute la tradition ecclésiastique
écrite ou non écrite, qu’il soit anathème... »
Par ailleurs, le pape Pie IX formule ce qui suit dans
son allocution Singulari Quadam de 1854 : « Il faut
admettre de foi que, hors de l’Église apostolique romaine,
personne ne peut être sauvé. L’Eglise romaine est la
seule arche de salut. Celui qui ne s’y hisse pas périra
par les flots », il faut comprendre « sera damné ».
Naturellement, ce dont nous venons de prendre connaissance
signifie que toutes les autres confessions sont
*1er Concile du Vatican, 8 décembre 1869-20 octobre 1870/
3ème session, 1870 : Constitution dogmatique «Dei Filius»
sur la foi catholique/ Chap. 4. La foi et la raison/ Ce qu’est le
progrès dans la science théologique)
190
dans l’erreur et que tous leurs fidèles sont voués à la
damnation éternelle : hindous, bouddhistes, musulmans,
jaïns, juifs, taoïstes et bien sûr les différents courants
issus de la famille protestante.
Certains, qui admettent la véracité de ces faits, avancent
pourtant que toutes ces affirmations appartiennent
désormais au passé depuis le fameux Concile Vatican II
sensé avoir fait entrer l’Eglise dans l’ère de la modernité
et l’avoir dotée d’un esprit d’ouverture et de tolérance.
A ceux-là, nous aimerions soumettre ce passage d’un
document publié à l’issue du Concile Vatican II : « …le
Christ lui-même a du même coup affirmé la nécessité de
l’Eglise, dans laquelle on est introduit par le baptême
comme par une porte. Aussi ne pourraient-ils pas être
sauvés, ceux qui, sans ignorer que Dieu, par Jésus-Christ,
a établi l’Eglise catholique comme nécessaire, refuseraient
cependant d’y entrer ou de demeurer en elle. »*
Qu’on nous permette de poser cette question : y a-til
un seul protestant, un seul juif, un seul musulman de
par le monde pour ignorer l’existence de l’Eglise catholique
et échapper ainsi à ce danger ?
En vérité, tous la connaissent ! Seules certaines
peuplades d’Amazonie ou de Papouasie Nouvelle-
Guinée l’ignorent peut-être encore, mais pour tous les
*Constitution Dogmatique sur l’’Église Lumen Gentium – 5ème
session 1964/ 2ème chapitre : le peuple de Dieu/ Les fidèles
catholiques)
191
autres, la sentence est claire : ils sont condamnés à la
damnation éternelle par l’Eglise.
D’autres avant nous se sont demandés qui se cache
derrière le Saint-Siège ? C’est par exemple le cas de
Martin Luther. Voilà ce qu’il en dit, en 1529, dans son
sermon contre les Turcs : « Je crois que le pape est un
diable en chair et en os, déguisé, car il est le Antéchrist. »
Et il écrit également : « Car le diable qui a fondé la papauté
parle et agit à travers le pape et le siège de Rome.
Tu sais maintenant qui est le pape et d’où il vient, une
abomination issue de l’idôlatrie de tous les diables sortis
du fond de l’enfer. »
Prenons conscience qu’il s’agit là des propos du fondateur
de l’Eglise protestante et que ceux-ci n’ont jamais
été démentis ni reniés. Pourtant, l’Eglise luthérienne met
tout en oeuvre pour se rapprocher de l’Eglise catholique.
Peut-être cherche-t-elle à revenir dans le sein de celle
dont elle est issue pour s’éviter d’avoir à subir les feux
de l’enfer éternel ? A la vue de ce spectacle, un esprit
goguenard ne manquerait pas de faire remarquer que
l’Eglise protestante « fait le beau » devant le diable !
A moins qu’elle n’agisse ainsi sous l’influence des
aspects païens qui l’imprègnent également. Même si les
protestants ne célèbrent pas le culte de Marie et rejettent
la vénération des reliques, pratiques auxquelles ils se sont
192
vigoureusement opposés lors du schisme protestant, le
paganisme n’en a pas moins gardé une grande influence
sur leurs croyances et leurs pratiques. Ainsi, l’autel placé
au centre des lieux de culte, la chaire du haut de laquelle
s’exprime le pasteur en direction de ses brebis, sont des
convenances issues directement du paganisme, en
l’occurence ici, du culte d’Isis.
De même, le rituel consistant à célébrer un repas de
la cène n’existait pas chez les premiers chrétiens qui
se contentaient de prendre un « repas de l’amour » en
commun, qu’ils partageaient avec les pauvres. C’est
seulement par la suite que ce repas fut ritualisé.
On peut également ranger au nombre des influences
païennes le recours aux vêtements sacerdotaux et à
l’autel et bien d’autres aspects encore.
A cet égard, l’aspect le plus déterminant est sans
aucun doute le pouvoir d’intercéder entre Dieu et les
hommes dont les prêtres sont investis. Ainsi, certains
se prétendent-ils des intermédiaires entre Dieu et les
hommes, et l’Eglise catholique en tant que manifestation
de la volonté divine sur la Terre en est l’expression parfaite.
Dès lors, on comprend mieux pourquoi il n’est possible
d’obtenir le salut qu’à la condition de s’en remettre
aveuglément à ce que disent les prêtres, affirmation que
l’Eglise protestante reprend à son compte.
Pourtant, là encore ces deux institutions sont
totalement en contradiction avec la Bible, leur référence
193
suprême puisqu’il est écrit dans l’Epître à Thimothée :
« Car vous n’avez qu’un Dieu et il n’y a qu’un seul intermédiaire
entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ ». Où estil
question de prêtres ici ?
Que peut donc gagner l’Eglise protestante en singeant
ainsi l’Eglise catholique et ses coutumes directement inspirées
du paganisme. En effet, ainsi que nous l’avons
vu, quoi que fassent les protestants, ils sont eux aussi
voués à la damnation éternelle s’ils n’acceptent pas la
totalité des dogmes catholiques. Ils auront beau faire et
beau dire, ils n’obtiendront pas pour autant la grâce de
l’Eglise catholique ! Ils s’y essaient pourtant. On pourra
cependant leur accorder des circonstances atténuantes
en raison de la duplicité dont fait preuve l’Eglise catholique
dans cette affaire.
Nous venons d’évoquer longuement la dureté d’un
enseignement qui promet la damnation, l’enfer éternel,
à quiconque ne s’y conforme pas. C’est une réalité incontournable,
que chacun peut vérifier. Pourtant,
lorsqu’on aborde ce sujet avec des catholiques, leur
réaction consiste la plupart du temps à le minimiser, voire
à le nier purement et simplement. A la question récente
d’un de ses lecteurs qui demandait : « comment parler
de l’enfer et le définir aujourd’hui ? » le Weltbild, journal
catholique allemand, fit la réponse suivante : « il existe
une thèse affirmant que l’enfer signifierait la fin de l’existence
de l’homme, sa disparition pure et simple. »
194
Cette interprétation tout à fait nouvelle nous amène à
nous demander quel est le but recherché par ceux qui
affirment de telles choses car il s’agit là ni plus ni moins
d’un blasphème.
D’une part, l’Eglise reconnaît l’immortalité de l’âme
et d’autre part elle elle annoncerait maintenant que ceux
qui ne croient pas en ses dogmes seront réduits à néant.
Ainsi, la vie de certains êtres que Dieu a créés serait
anéantie à tout jamais parce qu’ils refuseraient les dogmes
catholiques. Il est difficile de trouver pensée plus
satanique.
En l’occurrence, il ne s’agit pas de dissolution dans
le Nirvana comme le professe le bouddhisme, puisqu’au
moins dans ce cas l’énergie est conservée. Non, il est
avancé ici que l’homme retournerait au néant. Et qu’estce
que le néant ? C’est le rien absolu ! Et celui-ci ne
peut être envisagé si on considère qu’aucune énergie
ne se perd.
Cette thèse renferme donc l’idée de la destruction
pure et simple de la création divine, que celle de l’enfer
exprime déjà. Il suffirait d’un seul homme voué à l’enfer
éternel pour que Dieu soit vaincu, car Dieu a créé la vie,
Il est le Dieu de l’amour. Si donc un seul être humain
devait être damné pour l’éternité, Dieu aurait bel et bien
perdu puisque le mal serait alors plus fort que l’amour.
Une telle assertion représente un blasphème envers le
Créateur.
195
Faisons maintenant un bref retour en arrière. Nous
avons pris connaissance un peu plus haut de documents
officiels de l’Eglise affirmant que celle-ci détiendrait de
Dieu la mission d’apporter aux hommes le salut sur la
Terre et qu’ainsi il n’y aurait pas de salut hors de l’Eglise.
A ce propos, voilà ce que l’on peut lire dans le Décret
pour les Jacobites officialisé lors du Concile de Florence
(1442) : « Elle (La sainte Eglise romaine) croit fermement,
professe et prêche qu’» aucun de ceux qui se trouvent
en dehors de l’Eglise catholique, non seulement païens
mais encore juifs ou hérétiques et schismatiques ne
peuvent devenir participants à la vie éternelle, mais iront
« dans le feu éternel qui est préparé par le diable et ses
anges» (Mt 25, 41) à moins qu’avant la fin de leur vie ils
ne lui aient été agrégés » et que « personne ne peut être
sauvé, si grandes que soient ses aumônes, même s’il
verse son sang pour le nom du Christ, s’il n’est pas demeuré
dans le sein et dans l’unité de l’Eglise catholique.»*
Selon la doctrine protestante, chaque individu
serait «prédestiné» par Dieu au Ciel ou à l’Enfer
Ainsi donc, selon l’enseignement catholique, même les
protestants n’échappent pas aux feux de l’enfer. Bien
*Décrets pour les Jacobites et les Arméniens, Concile de
Florence (1492)
196
entendu, un protestant pourra toujours se retrancher derrière
le fait qu’il est à l’abri de ce risque puisqu’il rejette
ce dogme. Ce faisant, il pourra se croire tiré d’affaire.
Pourtant, les choses ne sont pas aussi simples et voici
pourquoi.
Peu de gens savent en effet, même parmi les fidèles
protestants, que selon l’enseignement luthérien, l’homme
serait prédestiné, affirmation que l’on garde soigneusement
sous le boisseau car elle serait bien sûr assez mal reçue
par le grand public et les fidèles de l’institution. C’est
pourtant un fait indéniable qui n’a fait l’objet, jusqu’à ce
jour, d’aucun reniement de la part de l’Eglise luthérienne.
En fait, cela signifie concrètement que la moitié de l’humanité
est prédestinée au salut alors que l’autre est promise
à la damnation éternelle, sans qu’il ne soit possible
d’y rien changer puisque cela résulte d’une décision
arbitraire de Dieu. Cet enseignement se révèle finalement
encore plus pervers que celui de l’Eglise catholique.
Se tourner vers le protestantisme ne résout donc en
rien le dilemme dans lequel nous nous trouvons !
Ainsi, le dogme luthérien avance que Dieu aurait
décidé bien avant notre naissance que nous irions au
Ciel ou serions promis à l’enfer éternel ? Aussi incroyable
que cela puisse paraître, c’est pourtant bel et bien
ce que prétend Luther.
On s’en doute, une telle théorie est peu susceptible
de séduire, aussi l’Eglise protestante a-t-elle depuis
197
aménagé une version moins radicale. Il ne s’agirait plus
maintenant d’affirmer que Dieu aurait prédestiné chacun
de nous au ciel ou à l’enfer, mais que cela pourrait être
une possibilité. Si tel est le cas alors, en toute logique,
cela signifie que nous n’avons pas besoin des services
de l’Eglise ! Car enfin, si tout est déjà programmé et que
rien ne puisse changer notre destinée, nous serions bien
insensés de verser notre obole aux représentants d’une
institution qui nous voue aux gémonies !
Une doctrine religieuse qui dénie à l’homme
son libre arbitre, sape le principe sur lequel
repose l’ordre démocratique
Toutefois, en un certain sens, cela pourrait en arranger
quelques-uns. Un délinquant, par exemple, conduit
au tribunal pour y répondre de ses actes, pourrait, après
tout, avancer qu’il ne peut en être tenu pour responsable,
Dieu ayant fait de lui un être malfaisant bien avant sa
naissance. Serait-il juste, dans ces conditions de condamner
cette personne ?
Quel pourrait être le point de vue d’un juge à ce sujet ?
Evidemment, s’il s’en tient strictement à la déontologie
de sa profession, il ne peut que rejetter une telle objection.
Mais, s’il s’avère être lui-même de confession protestante,
il pourrait alors éprouver de sérieux problèmes
de conscience.
198
Mais poursuivons notre raisonnement.
Si notre juge condamne quelqu’un que Dieu a voué à
l’enfer éternel avant même sa naissance, il s’oppose alors
à la volonté divine. Doit-il s’attendre lui aussi à rôtir dans
les feux de l’enfer éternel ?
On voit bien ici combien ce paradoxe induit par
l’enseignement protestant-luthérien sape tout ordre
juridique.
Un groupe confessionnel qui, sur le plan de l’éthique,
rejette la capacité au libre-arbitre des individus et considère
que ceux-ci ne disposent pas de la liberté de se
décider pour le bien ou le mal, parce qu’ils sont prédestinés
à l’un ou à l’autre, nie les fondements mêmes de
l’ordre juridique dans la société et contredit ceux de la
Constitution, qui, elle, reconnaît et affirme le droit de
chacun à la liberté. L’enseignement de Luther est en
totale opposition avec ces principes.
Comment un criminel dépourvu du libre arbitre, selon
la doctrine luthérienne, peut-il être jugé et condamné
comme s’il en disposait.
Comment le procureur pourrait-il requérir une condamnation
contre cette personne sous prétexte qu’elle
aurait dû agir autrement alors qu’en réalité, selon la
doctrine luthérienne, elle en était dans l’incapacité.
On voit bien comment cela s’oppose aux valeurs
démocratiques. En fait, l’ordre juridique induit par la
notion de prédestination divine consiste à trier le bon
199
grain de l’ivraie, c’est-à-dire les individus respectables
et les personnes amorales.
Comment ne pas se demander alors si cette vision
des choses n’a pas profondément marqué la conscience
du peuple allemand et contribué à façonner la volonté
purificatrice et exterminatrice des nazis. Tous ceux qui
connaissent un tant soit peu l’histoire savent à quel point
les dignitaires luthériens (et catholiques) allemands se
sont compromis avec le régime hitlérien (le fait que des
personnes « justes » de confession catholique ou luthérienne
s’y soient opposées ne change rien à ce constat,
puisque cela relève exclusivement de la conscience individuelle
de ces individus). On sait de quelle manière
des enfants handicapés confiés à des instituts gérés par
l’Eglise luthérienne ont été livrés à une mort affreuse. De
nombreux ouvrages d’histoire émanant de diverses
sources traitent de ce sujet et cette thèse y est largement
développée et étayée par d’autres que nous.
Plus loin encore, le comportement intraitable d’un
Luther ou d’un Calvin et leur aptitude à condamner à
mort tout opposant à leur vision dichotomique du monde,
entre bien et mal, n’a rien à envier à la brutalité de l’inquisition.
On le sait, dans le système judiciaire moderne, on ne
peut condamner quelqu’un pour délit que dans la mesure
où cette personne disposait de sa responsabilité pleine
et entière au moment des faits. Un délinquant prédestiné
200
à le devenir, privé de libre arbitre, peut-il être tenu pour
res-ponsable de ses actes et le juge qui le condamne
malgré tout ne se rend-il pas lui-même coupable
d’injustice.
Cela ne fait-il pas de ce dernier un bon candidat à
l’enfer, à moins que Luther ne vienne à son secours en
faisant valoir que lui aussi était prédestiné à agir de la
sorte et qu’il n’avait finalement pas la liberté de se comporter
autrement.
Il s’agit là d’un cercle vicieux, totalement insensé, dans
lequel des marionnettes de Dieu évoluent sans liberté.
Quel Dieu est-ce donc que celui-là ? Sûrement pas celui
dont parla Jésus, il y a 2000 ans. Dieu n’a jamais fait de
Ses créatures des marionnettes. Au contraire en témoignage
de son amour, il les a dotées du don le plus précieux
qui soit, le libre arbitre, c’est-à-dire de la possibilité
de décider librement, en toute occasion, ce qui inclut également
celle de le rejeter et de nier son existence.
Chers lecteurs, comment souhaitez-vous être jugés ?
Selon le droit catholique ou selon le droit protestant ? Si
vous choisissez la première option, il vous faudra peutêtre
encourir la torture puisque celle-ci est légitime.
Quand il s’agit de sauver l’âme, les souffrances endurées
par la chair pécheresse ne comptent pas. Rien ne
doit être négligé pour permettre au pécheur de s’amender
et à son âme de trouver le salut.
201
Si, par contre, vous choisissez la seconde option, vous
échappez à la torture. En effet, selon le droit protestant
celle-ci est parfaitement inutile puisqu’elle ne permet en
rien à l’homme de s’améliorer. Il est bon ou mauvais,
voué à l’enfer ou au paradis selon sa prédestination.
Et si aucune de ces solutions ne vous agrée, vous
saurez pourquoi il est si important de rester vigilant et
de se prémunir, aujourd’hui encore, contre l’influence
du religieux sur le pouvoir politique et judiciare.
La caste des prêtres cherche à influencer
le pouvoir temporel et à kidnapper la
démocratie
Selon l’Eglise catholique, l’Ancien Testament doit être
éclairé par le Nouveau.
Cette affirmation est beaucoup moins sibylline qu’elle
n’y paraît. En effet, elle implique ni plus ni moins la négation
de l’ordre juridique du monde, celui-ci n’étant plus
nécessaire puisque, en dernier ressort, c’est le prêtre qui
a toujours raison. C’est à l’Eglise catholique de définir
ce qui est juste et ce qui ne l’est pas.
Selon la conception des rapports entre l’Etat et l’Eglise
qui prévaut au sein des institutions catholique et protestante,
l’Etat n’est finalement que l’exécuteur des basses
oeuvres de l’institution ecclésiastique, son bras séculier.
Elles décident, il exécute.
202
Mais heureusement, il n’en est pas ainsi. C’est
seulement contraintes et forcées que les deux institutions
ont renoncé à gouverner les affaires du monde et
nul doute que si nous n’y prenions garde, elles chercheraient
à faire rentrer par la fenêtre ce que beaucoup
d’hommes épris de liberté et de justice ont fait sortir par
la porte.
« …nous définissons que le Saint-Siège apostolique
et le pontife romain détiennent le primat sur tout l’univers
» enseigne l’Eglise, comme nous l’avons mentionné
au chapitre 3.
Aux yeux de l’Eglise, la démocratie n’est qu’un pis
aller et son véritable projet consiste à la soumettre à sa
dictature.
Qui sait que l’Eglise catholique exige de ses ouailles
une fidélité absolue en toute circonstance. En toute
situation, dans les domaines tant privé que public, ils
ont le devoir de faire prévaloir l’enseignement chrétien,
c’est-à-dire en fait la dogmatique de l’Eglise, et de faire
triompher son idéologie. Ainsi, dans la mesure où cette
idéologie est de nature totalitaire et n’a rien de commun
avec la démocratie, on est en droit de considérer ici
qu’un système dictatorial cherche à mettre au pas la
démocratie.
Certains objecteront sans doute que jusqu’à présent
ces principes n’ont jamais été mis en oeuvre. A cela,
nous avons déjà répondu en partie un peu plus haut.
203
Toutefois nos lecteurs seront sans doute intéressés de
prendre connaissance des propos tenus par le cardinal
Meissner. Récemment, ce prélat a expressément
demandé à la CDU allemande (Union des Démocrates
Chrétiens ) de changer de dénomination et de ne plus
se qualifier de chrétienne. Pourquoi cela ? En aucun cas
parce que la CDU, tout comme l’Eglise catholique, n’ont
rien à voir avec le Christ, mais parce que, nous citons
ses propos : « C’est nous qui décidons de ce qui est
chrétien et de ce qui ne l’est pas ! » et d’ajouter : « Ce
parti ne va pas dans le sens de mes conceptions strictement
réactionnaires. » Pour ce cardinal, les principes
de l’Eglise n’ont donc pas seulement vocation à rester
couchés sur du papier, mais surtout à être mis en pratique.
A ceux qui en douteraient encore, nous ne
saurions trop conseiller la lecture du livre de Gabriele de
Würzburg : « Découvrez la vérité – le pouvoir de l’Eglise
et de l’Etat et la justice de Dieu. Un livre qui s’adresse
aux esprits libres et critiques. » Dans ce livre seulement
disponible en allemand pour le moment, il est décrit avec
une concision et une clarté incroyables la manière dont
ces mécanismes fonctionnent. En effet, la caste des
prêtres tire les ficelles de l’Etat démocratique bien plus
qu’on ne le croie.
204
205
... encore quelques mots
206
207
Lettres au Pape
Après l’élection du cardinal Ratzinger sur le trône de
Pierre, un chrétien des origines lui écrivit une lettre circonstanciée.
Cette dernière étant restée sans réponse
durant de longues semaines, il en écrivit une seconde,
à laquelle, jusqu’à ce jour, aucune réponse n’a été donnée
non plus.
Vous pouvez lire ci-dessous le contenu de ces deux
lettres.
2 mai 2005
Très honoré Pape Benoît.
Veuillez excuser ce titre qui ne correspond pas à l’étiquette
en vigueur, mais il m’est difficile de m’adresser
à un homme en le qualifiant de « Saint-Père » ou de
« Votre Sainteté ». Ainsi, je ne m’adresse pas à vous
ici en tant que responsable suprême de votre Eglise
mais tout simplement en tant que frère en Christ.
Puis-je me permettre de vous rappeler que nous nous
sommes déjà rencontrés dans des circonstances pour
le moins critiques. En tant qu’archevêque de Munich
208
et de Freising, vous aviez pris des mesures disciplinaires
à l’encontre d’un prêtre de campagne récalcitrant
qui refusait de verser le denier de Saint-Pierre.
Et c’est justement à mes services d’avocat que cet
homme a fait appel, ayant recours à la justice pour
éviter d’être suspendu de ses fonctions. Ce litige d’ordre
canonique donna lieu à une rencontre et à un
échange, que vous avez mené avec beaucoup de
compréhension, débouchant sur un arrangement à
l’amiable. Le prêtre en fut reconnaissant à son évêque
et l’avocat impressionné par la disposition de ce dernier
à la réconciliation. Compte tenu du foisonnement
d’événements ayant parsemé votre vie depuis, il est
peu probable que vous ayez souvenance de celui que
je viens de relater tout comme vous n’aurez certainement
pas entendu parler d’une émission diffusée sur
la 1ère chaîne de télévision italienne RAI UNO et intitulée
« dieci minuti », au cours de laquelle un juriste
allemand est venu présenter aux téléspectateurs un
mouvement religieux se rattachant au courant du
christianisme des origines.
Et oui, l’avocat munichois d’autrefois est entre temps
devenu un humble chercheur de Dieu au sein d’une
communauté du christianisme originel (tout au moins
il l’espère ) qui s’efforce de comprendre et de mettre
en pratique au quotidien les enseignements de Jésus
de Nazareth.
209
C’est en référence à cette tentative que je me permets
de poser quelques questions au Pape nouvellement
élu de l’Eglise catholique, apostolique et romaine.
Cela semblera peut-être prétentieux et impertinent,
mais le Christ ne fait pas de différence entre grands
et petits. Les questions se rapportant à la vie chrétienne
n’ont pas à être débattues à huis clos, c’est
pourquoi j’ai décidé d’écrire cette lettre sous la forme
d’une lettre ouverte.
La première question que je souhaite vous adresser,
vous l’avez vous-même soulevée au milieu des années
60, comme l’évêque de Limburg, Mgr Franz Kamphaus,
l’a rapportée il y a peu dans le journal « Frankfurter
Allgemeinen Zeitung ». En effet, à l’occasion d’une intervention
à caractère théologique lors du concile Vatican
II, vous avez rendu les participants attentifs au
fait qu’il était dangereux que le pape se fasse appeler
« Saint-Père », car cela est contraire aux paroles de
Jésus (Math 23, 8-9) : « Pour vous, ne vous faites pas
appeler « Rabbi » ; car vous n’avez qu’un Maître, et
tous vous êtes des frères. N’appelez personne votre
« Père » sur la terre : car vous n’en avez qu’un, le Père
céleste. » Cela paraîtra peut-être un détail insignifiant
aux yeux de certains, cependant, comme vous
l’avez fait remarquer, ces paroles sont contraires à
celles prononcées par Jésus. Par conséquent, la
210
*En français, ce livre a pour titre ‘La foi chrétienne hier et
aujourd’hui’. Les Editions du Cerf, Paris 2005
question qu’on est légitimement en droit de se poser
est la suivante : A quel point le nouveau pape souhaite-
t-il prendre la parole de Jésus au sérieux et renoncer
alors à se faire appeler « Saint-Père » et à laisser
les fidèles s’agenouiller devant lui ?
Ma deuxième question s’adresse à l’Eglise en tant
qu’institution. Rappelons que, malgré son passé sanglant,
celle-ci se considère toujours comme seule capable
d’apporter le salut aux hommes et continue de
recruter ses fidèles dès le berceau et de les retenir,
par la suite, avec des menaces d’ordre spirituel. Dans
votre livre paru en 1968 « Einführung in das Christentum
»*, et qui a recueilli beaucoup de lecteurs depuis,
vous écrivez que, face à l’histoire de l’Eglise, je cite « nous
pouvons comprendre l’effroyable vision de Dante, voyant
la prostituée babylonienne assise dans le char de l’Eglise.
» (p. 244) L’Apocalypse de Jean nous place devant
les conséquences qu’il convient de tirer face à Babylone,
la prostituée: « Sortez, ô mon peuple, quittez-la, de
peur que, solidaires de ses fautes, vous n’ayez à pâtir
de ses plaies ! » (Ap 18, 4) Pourtant, quelqu’un qui choisirait
de suivre ce conseil serait immédiatement menacé
de la damnation éternelle par l’Eglise.
211
Et celui qui cherchera à résoudre ce conflit qui oppose
le salut en Christ et les maux de l’Eglise en se tournant
vers la théologie, recevra pour le moins des réponses
paradoxales : « Grâce au don du Seigneur, qui s’est
livré sans plus se reprendre, l’Eglise est pour toujours
la communauté sanctifiée par lui, celle en qui la sainteté
du Seigneur est rendue présente au milieu des
hommes. Mais c’est vraiment la sainteté du Seigneur
qui y est présente et qui, dans un amour paradoxal,
choisit sans se lasser, comme réceptacle de sa présence,
les mains sales des hommes. C’est une sainteté
qui éclate et se manifeste comme sainteté du
Christ au milieu du péché de l’Eglise… Ainsi, le visage
paradoxal de l’Eglise, où le divin se présente si souvent
dans des mains indignes... devient pour les croyants
un signe du ‘malgré tout’ de l’amour de Dieu. » ( p. 246 )
Quant à moi, je ne suis pas spécialiste en théologie et
c’est sans doute pourquoi je ne peux m’empêcher de
ressentir tout cela comme un jeu de l’intellect dont on
connaît l’aptitude pour modeler les choses à sa convenance
: ainsi, par un tour de passe-passe «paradoxal
» l’Eglise prend la place du «Seigneur» et conserve
sa sainteté même si elle se détourne de Lui,
puisqu’il « s’est livré sans plus se reprendre. » Ce qui
vous permet de conclure, page 247 « pour moi, cette
sainteté si peu simple de l’Eglise a quelque chose d’infiniment
consolant. »
212
Très honoré pape Benoît, que penserait Jésus de
tant de paradoxes ? Pourrait-il tolérer que votre Eglise
prétende incarner le « Corps mystique du Christ » et
que, en vertu du paradoxe de la « sainteté nonsainte
», elle puisse s’en réclamer à travers l’histoire
malgré les croisades, l’inquisition, la chasse aux sorcières
et tous les actes sanguinaires qu’elle a pratiqués
au cours des siècles. La devise « une fois
sainte, toujours sainte » de l’Eglise, ne représentet-
elle pas un danger potentiel quant à ce que celle-ci
nous réserve pour l’avenir ?
Dans votre livre, vous faites valoir que, je cite : « il y
a toujours de l’orgueil caché là où la critique de l’Eglise
revêt cette dureté amère… jointe trop souvent à un
vide spirituel… où la réalité propre de l’Eglise n’est
plus perçue (que comme) un instrument politique,
dont l’organisation apparaît pitoyable ou brutale,
comme si la réalité propre de l’Eglise ne se situait
pas au-delà de l’organisation, dans le réconfort de la
parole et des sacrements… » (p. 247)
Comment pouvez-vous, compte tenu du caractère
impérial et des structures de pouvoir dont votre Eglise
s’est dotée par le passé tout autant qu’aujourd’hui,
justifier devant Dieu vos ambitions spirituelles et prétendre
annoncer aux hommes l’Evangile au nom de
Jésus-Christ ?
213
Permettez-moi une audace, celle de me faire un instant
l’avocat du Nazaréen pour vous poser encore
quelques questions dérangeantes : Trouvez-vous
compatible avec l’enseignement de Jésus le fait que
l’Eglise continue à s’approprier l’immense richesse
acquise au cours des siècles passés, en grande
partie au moyen de la tromperie et de la violence ?
Ne serait-il pas temps d’utiliser cette fortune pour
contribuer efficacement à réduire la faim et la misère
dans le Tiers-Monde ? Que vous conseillerait Jésus
en l’occurrence ?
Que penserait le charpentier de Nazareth de la
débauche de luxe dont le monde a été le témoin lors
du décès de votre prédécesseur et de votre propre
intronisation ? Les évangiles nous rapportent qu’à
l’occasion Jésus ne refusait pas de participer à une
fête, comme il le fit lors des noces de Canaa. Mais,
ce dont il est question ici c’est de faste et de luxe,
d’or et de pourpre, déployés au nom de Jésus, alors
que chaque jour, dans le monde, 40 000 enfants meurent
de faim. Les observateurs avertis ont vu dans cette
mise en scène une démonstration destinée à affirmer
la puissance catholique dans le monde. Ainsi, ce spectacle
médiatique forcené, digne du réalisateur Cecil
B. De Mille, n’a laissé aucune place à la spiritualité et
s’est plutôt transformé en une manifestation d’hystérie
collective au cours de laquelle il fut rendu hommage
214
au « réprésentant de Dieu sur Terre », comme à une
idole, le Christ crucifié, mort sur la croix, seulement
entouré de quelques fidèles, devenant ici un simple
accessoire dans tout ce décorum. En passant, je m’autorise
encore cette question : pourquoi continuez-vous
à le représenter cloué sur la croix, alors qu’il est ressuscité
depuis longtemps ?
S’il est éventuellement possible de passer sur certaines
des nombreuses divergences existant entre le
simple charpentier de Nazareth et l’opulente Eglise
qui se réclame de lui, il ne saurait en être de même
en ce qui concerne le désaveu autrement douloureux
de Jésus par les dogmes centraux de l’Eglise. N’estil
pas accablant que beaucoup de chrétiens d’Eglise
soient à ce point déconcertés quand on leur demande
pourquoi le Christ s’est fait homme et pour quelle
raison il est mort dans les conditions que l’on sait ?
Ceux qui, parmi eux, auront conservé quelques souvenirs
de leurs cours de catéchisme pourront toujours
répondre que ce sacrifice était nécessaire pour
réconcilier Dieu avec les hommes sans se rendre
compte de la portée d’une telle réponse qui fait de
Dieu un être abominable, tellement offensé par les
hommes qu’Il exige d’eux un sacrifice humain, qui
plus est, celui de son propre fils
Une telle image de Dieu rebute beaucoup de gens
et rend suspect Jésus de Nazareth.
215
Ce que j’avance, chacun peut le vérifier en parcourant
le Cathéchisme de l’Eglise catholique où l’on peut
lire que « La mort violente de Jésus n’a pas été le
fruit du hasard dans un concours malheureux de circonstances.
Elle appartient au mystère du dessein
de Dieu…» Il avait été livré selon le dessein bien arrêté
et la prescience de Dieu » (Ac 2, 23). » et que
Jésus « …accepte sa mort … pour « porter lui-même
nos fautes dans son corps sur le bois » (1 P 2, 24 )…
« Ce sacrifice du Christ est unique, il achève et dépasse
tous les sacrifices (cf. He 10, 10). Il est d’abord
un don de Dieu le Père lui-même : c’est le Père qui
livre son Fils pour nous réconcilier avec lui (cf. 1 Jn
4, 10). »
Une telle interprétation des évènements de la mort
de Jésus sape en profondeur depuis des siècles la
confiance des hommes envers Dieu et les empêche
de comprendre quel fut vraiment le sens de la venue
sur Terre de Jésus. En tant que théologien, vous avez
vous-même parfaitement mesuré ce problème
puisque, à la page 189 de votre livre, vous évoquez
« la lumière sinistre » dans laquelle l’image de Dieu
est plongée par cet enseignement. C’est pourquoi
vous essayez, avec une grande virtuosité théologique,
de relativiser ces aspects en faisant appel à la
notion de « satisfaction » telle que la définit Anselme
de Canterbury (en fait on peut déjà faire remonter à
216
Paul cette notion) et en faisant valoir que ces aspects
ne trouvent pas confirmation dans les évangiles.
Ainsi, pour vous, s’il est question du sang de la
réconciliation dans l’Epître aux Hébreux, il ne faudrait
pas comprendre cela « comme un don matériel,
comme un moyen d’expiation à mesurer de manière
quantitative », mais tout simplement comme « la concrétisation
de l’amour, dont il est dit qu’il va jusqu’à
l’extrême. » (p. 236)
Ceux qui croient en un Dieu aimant et prennent au
sérieux le message de Jésus, ne peuvent pas considérer
sa mort comme un holocauste de type païen,
mais comme l’expression de sa fidélité absolue à la
mission qui était la sienne et qui consistait à annoncer
le royaume de Dieu à l’humanité et à oeuvrer à l’avènement
du Royaume de paix sur la Terre. Si l’Eglise
partage cette conviction quant à la nature de la vraie
mission de Jésus, pourquoi n’a-t-elle pas encore
abandonné ce mythe païen du sacrifice dans son
enseignement officiel ? Je vous rappelle que la
dernière version du Cathéchisme de l’Eglise catholique
ne date que de 1992. Une Eglise qui aussi bien
dans son cathéchisme qu’à travers des milliers de
textes de recueillement et de prières, invite à vénérer
le Fils de Dieu comme un holocauste nécessaire, peutelle
encore sérieusement se réclamer de Lui ?
217
Par ailleurs, comment une Eglise peut-elle faire d’une
formule religieuse comme « Agneau de Dieu, qui
enlève les péchés du monde » un mantra et en même
temps menacer de la damnation éternelle tous ceux
qui trébuchent dans la casuistique de son enseignement
des péchés mortels ? Dans ma jeunesse, cela
pouvait arriver si par exemple on lisait un livre mis à
l’Index, si on embrassait une fille avec un peu trop
de fougue ou si on ne se rendait pas plusieurs fois
de suite à la messe du dimanche. Bien sûr, les
choses ne se passent plus ainsi de nos jours,
cependant une grande partie des chrétiens d’Eglise
sont encore aujourd’hui, selon l’enseignement
ecclésiastique, assez proches du gouffre qui mène
à l’enfer éternel.
Je ne souhaite pas ici défendre une quelconque « dictature
du relativisme », mais exprimer mon indignation
au nom de Jésus et de son Père - qui est aussi le
nôtre et nous aime infiniment -, quand sa bonté toutepuissante
est offensée parce qu’on lui attribue à tort
le projet de damner pour l’éternité une grande partie
de l’humanité. Origène, grand théologien des premiers
temps du christianisme, savait parfaitement qu’à la
fin des temps tous les hommes retourneront à Dieu
(« Apocatastase »). Cependant, lors du Concile de
Constantinople, en 553, l’Eglise catholique rejeta
l’enseignement d’Origène, non pour des raisons théo218
logiques ou spirituelles sérieuses mais essentiellement
parce que l’empereur Justinien, épris d’ordre, voulait
étouffer dans l’oeuf un différend religieux sur la
préexistence de l’âme humaine et la rédemption par le
Christ de toutes les âmes et de tous les hommes,
susceptible de mettre à mal l’unité de l’empire. C’est
pourquoi il n’hésita pas à jeter l’anathème sur Origène
et son enseignement et, par-là même, sur une partie
essentielle du message du Christ. Ce faisant, l’Eglise
d’Etat romaine rejeta la vision d’un Dieu-Père aimant
qui ne damne personne et sou-haite ramener dans la
patrie éternelle toutes les âmes et tous les hommes,
toute la création déchue. Dès lors, l’Eglise brandit une
arme des plus efficaces : la menace de la damnation
éternelle qu’elle employa avec succès au cours des
15 siècles qui suivirent. Elle a également servi de base
à l’inquisition et aux croisades qui coutèrent la vie à
des millions de personnes.
Comment une Eglise peut-elle se réclamer de Jésus de
Nazareth alors que, sur une question aussi essentielle
que celle-là, elle ne se réfère pas à lui mais à
d’autres enseignements ? Très peu de catholiques
savent par exemple que la profession de foi apostolique
n’a jamais été écrite par des successeurs de
Jésus au début du christianisme, pas même par des
théologiens, mais qu’elle est l’oeuvre de différents empereurs
romains, Justinien étant l’un d’entre eux. Ce
219
processus débuta en 325, au concile de Nicée, convoqué
par l’empereur Constantin dans le but d’aplanir
le premier grand conflit théologique de l’histoire chrétienne
opposant Arius à Athanase. Il s’agissait de
savoir si Jésus, le Christ, était lui-même Dieu (de
même nature que Dieu) ou s’il était fils de Dieu (de
nature similaire à Dieu). Ce n’est pas un pieux
successeur du Christ, mais un empereur romain nonbaptisé
qui décréta que le Christ était de même nature
que Dieu et qui contribua grandement à décider du
contenu de la profession de foi catholique encore
valable de nos jours. Si Jésus a dit : « Le Père et
Moi sommes un », il n’a jamais dit : « Je suis moimême
Dieu », comme on le prie chaque dimanche à
l’Eglise depuis Constantin.
Vous savez mieux que moi que bien d’autres articles
de foi sont nés de manière comparable : par exemple
le dogme de la Trinité et celui faisant de l’Eglise la
seule et unique dispensatrice du salut. Là encore,
c’est un empereur romain, Théodose, qui, lors du
concile de Constantinople en 381, décida par un acte
d’autorité de la définition de ce dogme. Il convoqua le
concile ainsi que l’un de ses juristes que l’on se
dépêcha de baptiser à la va-vite. Immédiatement
après, celui-ci fut ordonné prêtre et promu métropolite.
Affublé de ce titre, il put conduire les travaux du
concile et formuler par écrit de manière juridiquement
220
correcte le dogme de la trinité. Dans le même temps,
l’Eglise fut déclarée « sainte » et « apostolique » et
ses moyens pour obtenir la grâce furent proclamés
instruments de salut de la nouvelle religion d’Etat.
Les textes adoptés par Théodose et son juriste font
aujourd’hui encore partie du credo de toutes les confessions
chrétiennes. Pour autant cela n’a rien de
chrétien, car le Christ ne l’a jamais souhaité. Cela
est strictement d’origine catholique-romaine.
Vous pourriez m’objecter que cela ne me concerne
en rien puisque je ne suis pas catholique et par conséquent
nullement obligé de croire en ce credo.
Toutefois, cette objection ne sera pas valable tant
que l’Eglise catholique continuera de prétendre qu’elle
est la seule et unique représentante du christianisme
et n’admettra pas qu’Eglise et christianisme sont
deux choses bien distinctes.
J’en viens maintenant à la question névralgique du
comportement de votre Eglise envers les chrétiens
qui ne comptent pas parmi vos adhérents et qui
veulent suivre le Christ de Dieu en dehors du
système religieux ecclésiastique. Cette question se
rapporte en quelque sorte à votre champ d’action de
prédilection en tant qu’ancien préfet de la Congrégation
pour la doctrine de la foi, dans la succession de
l’inquisition ecclésiastique. D’ailleurs, vous ne niez
221
pas cette filiation, bien au contraire, puisqu’en mars
2005, vous avez déclaré ce qui suit sur les ondes de
Radio Berlin-Brandenburg : « L’expression « Grand
inquisiteur » est une expression marquée sur le plan
historique. Mais quelque part, nous sommes dans
cette continuité. » Quand on entend cela, on commence
à s’interroger et on le fait davantage encore
en entendant ce que vous dites ensuite puisque vous
affirmez sans détour qu’il convient « cependant de
dire » que l’inquisition était un véritable progrès pour
son temps, car plus personne ne pouvait être
condamné sans avoir subi au préalable un inquisitio,
c’est-à-dire un interrogatoire. Tout en vous exprimant
ainsi, il semble que vous aviez malgré tout conscience
de la manière dont ces examens étaient effectués, à
savoir au moyen de méthodes d’une violence inouïe,
puisque vous avez pris la peine d’indiquer que « les
méthodes du passé étaient en partie critiquables .»
En prenant connaissance du contenu de cette interview,
on en viendrait presque à se demander si vos
propos n’ont pas fait l’objet d’une manipulation ou d’une
déformation technique tant on a du mal à y croire.
En tout cas, je me permets de vous demander jusqu’à
quel point on peut regarder comme fiable la déclaration
du Concile Vatican II sur la liberté de religion.
La question ne se pose pas seulement parce que
l’Eglise a attendu 1965 pour renoncer au droit et au
222
« devoir de réprimer les erreurs religieuses et morales »
(Pie XII) mais surtout parce que cette déclaration, à
mettre en relation avec d’autres documents de l’Eglise,
est elle-même motif à suspicion quand on y lit que
« l’enseignement catholique traditionnel concernant le
devoir moral des hommes et de la société envers la vraie
religion et l’unique Eglise du Christ reste intact. »
En l’occurrence, l’Eglise ne s’est pas contentée de
faire respecter le devoir auquel il est fait allusion sur
le seul plan « moral » mais elle a aussi et toujours
utilisé la loi à cet effet.
Dans ces conditions, vous comprendrez que l’on
puisse s’inquiéter de voir figurer aujourd’hui encore
parmi les documents officiels de l’Eglise, la lettre
adressée à l’archevêque de Munich par le pape Pie
IX dans laquelle il indique que l’Eglise « doit méticuleusement
écarter, extirper tout ce qui est contre la
foi ou qui pourrait porter dommage au salut de l’âme. »
Tant que ce document gardera force de loi au sein
de l’Eglise catholique, le droit d’exclusivité que celleci
s’est approprié en la matière, ne sera pas menacé.
C’est ainsi que le psychologue et philosophe Karl
Jaspers a dit un jour qu’en raison de ce droit, l’Eglise
« serait constamment prête à rallumer les bûchers
pour les hérétiques. » C’est pourquoi, un chrétien vivant
sa foi en dehors de l’Eglise, ne pourra pas se
contenter de déclarations de bonnes intentions en la
223
matière. Au nom de Jésus et des droits de l’homme, il
exigera que l’Eglise renonce une bonne fois pour toutes
à ses dangereuses prétentions hégémoniques car
elles portent en elles les germes de l’agressivité et de
la violence. Vos déclarations en faveur de la réconciliation
de toutes les familles du christianisme sont bien
connues. Aujourd’hui, vous pouvez passer des déclarations
aux actes et, d’un simple trait de plume papal,
contribuer grandement à un rapprochement.
A cet égard, un nouvel « édit de tolérance » signé du
Pape aurait de nombreux effets salutaires. Il contribuerait
non seulement au rapprochement des différentes
communautés religieuses, mais permettrait de
surcroît qu’un courant d’Esprit Saint - qui, c’est bien
connu, souffle là où Il veut et ne supporte pas
longtemps l’étroitesse du carcan théologique dogmatique
- s’engouffre dans l’Eglise et la régénère.
Comment se peut-il que personne dans le milieu
ecclésiastique n’ait encore remarqué que les dons
de guérison et de prophétie, dont l’Evangile parle à
plusieurs reprises, soufflaient dans les premières
communautés chrétiennes et que le courant prophétique,
à quelque exception près, ne s’est jamais manifesté
au sein de l’Eglise mais toujours extra muros,
où il fut pourchassé par le feu et l’épée ?
Vous le savez, Karl Rahner lui-même a longuement
traité de la possibilité de « révélations privées », pri224
vées signifiant ici qu’elles ne se manifestent pas au
sein de l’Eglise car celle-ci fait peu de cas des révélations
données par le monde divin. Ce faisant,
l’Eglise fait valoir, ici aussi, un droit à l’exclusivité
qu’elle exerce dans ce cas, non seulement envers les
hommes mais également envers l’Esprit de Dieu.
Peut-on sérieusement imaginer que Dieu se soit tu
pendant deux mille ans alors qu’Il s’est révélé de tout
temps par la parole prophétique ?
Nombreux sont ceux qui sont convaincus qu’aujourd’hui
à nouveau un prophète - en fait, il s’agit d’une
prophétesse - vit parmi nous et qu’à travers elle une
oeuvre de révélation divine et une communauté mondiale
dans l’esprit du christianisme des origines ont
vu le jour. J’invite les personnes incrédules à parcourir
votre livre, cité ici à plusieurs reprises. Au chapitre
« doute et foi » vous décrivez, en reprenant la parabole
du clown et du cirque en feu de Kierkegaard, la
situation du croyant qui alarme les pompiers sans que
ceux-ci le prennent au sérieux car il est vêtu en habit
de clown. Dans votre texte, le clown symbolise le théologien.
Il suffirait de remplacer le terme « théologien »
par le mot « prophète » pour que vos paroles : « …de
la pesante impossibilité de rompre les modèles de pensées
et d’expression » (page 18) prennent une nouvelle
dimension et deviennent très actuelles. Les « villageois
inconscients » que rencontre le clown dans la
225
parabole de Kierkegaard symboliseraient alors les
pratiquants inconscients face au prophète. Dans le
« dilemme de la foi », sa révélation n’aurait pas moins
de force que le dogme des théologiens car, comme
vous le dites très justement, « …même si l’incrédulité
a l’impression de se voir confirmée, il lui reste un étrange
sentiment de ´c’est peut-être vrai malgré tout`. Le
´peut-être` est le motif d’une inévitable réflexion… Le
croyant et l’incrédule ont chacun, à leur manière, part
au doute et à la foi lorsqu’ils ne se cachent ni devant
eux-mêmes, ni devant la vérité de leur Être. Aucun
d’eux ne peut échapper totalement ni au doute ni à la
foi. » (page 23 f)
Lorsqu’ils ont été confrontés à un prophète, les hommes
ont toujours dû faire face à ce dilemme en matière
de foi. De tout temps, ils réagirent par le rejet, et
parmi eux, les prêtres plus que tout autre. Ceux-ci
sont détenteurs de la tradition alors que les prophètes
apportent la révolution. C’est une raison suffisante
pour que les seconds aient toujours été suspects aux
yeux des premiers. Et il en fut ainsi également lorsque
le Fils de Dieu lui-même vint sur la Terre et plus
tard lorsque des hommes et des femmes éclairés,
mystiques et visionnaires menacèrent, par leur existence
même, d’ébranler le système dogmatique figé
de l’Eglise. Leur sort fut bien souvent comparable à
celui du Christ ressuscité tel que le décrit Fedor Dos226
*Dostoïevski « Les Frères Karamazov » Editions Gallimard,
folio classique
toïevski dans la légende du « Grand Inquisiteur »
extraite des «Frères Karamazov». Voilà ce que le prince
de l’Eglise lui susurre à l’oreille : « Nous avons corrigé
ton oeuvre en la fondant sur le miracle, le mystère et
l’autorité. Et les hommes se sont réjouis d’être de nouveau
menés comme un troupeau... Pourquoi donc venir
entraver notre oeuvre ?... Nous ne sommes pas avec
toi mais avec lui, depuis longtemps déjà. Il y a juste
huit siècles que nous avons reçu de lui ce dernier don
que tu repoussas avec indignation, lorsqu’il te montrait
tous les royaumes de la terre ; nous avons accepté
Rome et le glaive de César, et nous nous sommes
déclarés les seuls rois de la terre… » (p. 358)*
Un tel scénario pourrait à coup sûr se répéter de nos
jours si un prophète nouveau venait à cheminer sur
la Terre, à l’écart de l’institution ecclésiastique et de
sa cohorte de rites et de dogmes, seulement désireux
d’en revenir aux sources de l’enseignement de Jésus.
Serait-il pris au sérieux par le Pape ou traité comme
l’est le Christ dans la nouvelle de Dostoïevski ? A
moins qu’il ne soit exposé à la risée générale, comme
le clown dans la parabole de Kierkegaard qu’on refuse
d’écouter par bêtise et ignorance, alors qu’il serait
encore possible de sauver le chapiteau.
227
Une personne ouverte intellectuellement, ne rejettera
pas d’emblée la possibilité que le monde spirituel divin
puisse adresser aux hommes de notre époque
de tels messages d’avertissement. Tout en conservant
son scepticisme éventuel, elle examinera une
telle hypothèse de façon rationnelle, partant du principe
que le fait d’en nier l’éventualité à priori lui ferait
prendre le risque de passer à côté de la vérité. Si
ses recherches restent infructueuses, elle n’aura fait
que perdre un peu de temps et d’énergie. Par contre,
si ses observations la conduisent à vérifier la pertinence
de la prophétie en question, elle aura, par son
comportement, évité de passer à côté d’un danger.
Aussi, je me permets de vous adresser la reproduction
d’un des messages d’avertissement qui nous ont
été communiqués à notre époque par la parole prophétique
et je joins également à cette lettre une brochure
intitulée « les grands enseignements cosmiques
de Jésus de Nazareth à Ses apôtres et disciples qui
pouvaient les saisir ». Il ne s’agit en fait que d’un court
extrait d’une grande oeuvre de révélation, dans laquelle
on trouvera des explications uniques sur l’origine et la
naissance de la Terre et sur l’apparition de la vie sur
notre planète, sur les interactions entre l’esprit et la
matière, le corps et l’âme, la santé et la maladie. De
plus il y est révélé beaucoup de choses ignorées
228
jusqu’alors sur la vie et l’enseignement du Nazaréen.
C’est l’Esprit de Dieu lui-même qui rectifie les erreurs
véhiculées sur Jésus de Nazareth et qui révèle ce qui
nous a été caché jusqu’ici. Il nous parle également
de l’amour de Jésus pour les animaux. De plus, ses
révélations apportent des réponses aux questions que
chacun de nous se pose sur le sens et le but de la vie
sur Terre, sur la signification véritable de l’acte de
rédemption de Jésus, sur la loi des semailles et des
récoltes, sur la vie de l’âme après la mort du corps,
sur le futur de l’humanité, sur le Royaume de paix en
devenir, et sur bien d’autres choses encore.
J’ignore si cette lettre parviendra jusqu’à vous. Si Dieu
le veut, il en sera ainsi. Vous pourrez alors apprécier
par vous-même l’intérêt éventuel de mes questions
ainsi que la considération de ce qu’il convient d’accorder
à l’hypothèse que le monde divin puisse s’exprimer
à notre époque, comme il le fit par le passé.
Concernant les aspects soulevés par ma lettre ainsi
que pour toutes les autres décisions importantes que
vous aurez à prendre au long de votre pontificat et
de votre vie, je vous souhaite, la bénédiction de Dieu
et la conduite du Christ.
C’est dans cet esprit que je vous salue en tant que
votre frère en Christ.
229
19 juillet 2005
Très cher Pape Benoît,
Permettez-moi de revenir sur la lettre détaillée que je
vous ai adressée le 02 mai 2005.
J’ignore pour quelle raison celle-ci est restée sans
réponse jusqu’à ce jour. Je ne pense pas que cela
soit imputable à une mauvaise organisation ou à un
manque de temps et de moyens de votre secrétariat
d’Etat puisque dernièrement encore, celui-ci a trouvé
le temps d’adresser les sincères remerciements du
Vatican aux fabricants et distributeurs d’ours en peluche
à votre effigie, comme la presse s’en est fait
l’écho. Le pape représenté sous la forme d’un ours
en peluche, « précieuse peluche de mohair bouclée
blanche, au remplissage classique à la fibre et à l’habillement
coûteux.», c’est certes beaucoup plus agréable
et sympathique que les questions critiques posées
par un chrétien qui s’interroge sur les contradictions
entre l’enseignement de l’Eglise et celui de Jésus.
Ma lettre est sans doute passée directement de son
enveloppe décachetée à la corbeille à papier d’un
prélat zélé à moins qu’ayant franchi cet obstacle, elle
230
ait été considérée comme un crime de lèse-majesté
dans des cercles plus élevés. Par mesure de précaution,
j’en joins ici une copie. Parallèlement, je l’adresserai
également à quelques cardinaux allemands et
italiens qui porteront peut-être plus d’attention à mes
questions. Une chose est sûre, je donnerai à cette
correspondance un prolongement sur Internet car il
s’agit de questions d’intérêt général. En effet, l’Eglise
dont vous êtes l’autorité suprême se réclame du
Christ et beaucoup de personnes pensent qu’elle le
fait de façon abusive. A l’issue de vos cent premiers
jours de pontificat, vous avez déjà clairement signifié
que vous n’étiez aucunement disposé à replacer votre
Eglise dans la filiation de Jésus de Nazareth, ne seraitce
que de façon progressive.
La rapidité avec laquelle vous affirmez vouloir canoniser
votre prédécesseur semble le confirmer. En tant
que théologien, et donc en tant que personne versée
dans l’histoire, vous savez mieux que moi que le culte
des saints et des reliques n’a absolument rien à voir
avec Jésus, le Christ, mais qu’il a pour origine d’anciens
cultes de mystères païens, repris plus tard à
son compte par l’Eglise. Ainsi en est-il du culte catholique
des reliques consistant à vénérer les ossements
de personnes disparues et à les utiliser pour des
« guérisons miraculeuses ». Selon la Bible, Un seul
231
est saint, le « Seigneur des légions célestes » (Isaïe).
Le culte des personnes qui s’exerce dans le cadre
de la vénération des saints par l’Eglise catholique
romaine est donc un acte sacrilège. Il l’est d’autant
plus lorsqu’on examine en détail la liste des personnes
canonisées ou vénérées comme telles. Ainsi en
est-il par exemple de l’empereur Constantin qui décima
sa propre famille ou de Bernard de Clairvaux
qui appela aux croisades et donc au meurtre et de
beaucoup d’autres qui, en raison de leurs actes
cruels au service de l’Eglise ont reçu « les honneurs
de l’Autel.»
Non content de faire accélérer un processus de canonisation
dont on est en droit de nier le caractère
véritablement chrétien, vous intensifiez également la
pratique de l’exorcisme. En effet, si l’on en croit
l’agence de presse catholique, l’université catholique
Regina Apostolorum de Rome propose désormais
des cours d’exorcisme. Selon cette école, la « fascination
du diable » serait en marche, justifiant ainsi
cette offre inhabituelle. Alors que certains rites
propres au culte des saints peuvent prêter à sourire,
il en va tout autrement dans le cas de l’exorcisme.
Vous avez sans doute été informé du fait que cette
pratique a coûté la vie à plusieurs personnes, il n’y
pas si longtemps encore, et qu’elle a laissé à d’autres
232
de graves séquelles physiques et morales. La
pratique de l’exorcisme n’est pas sans rappeler les
cérémonies du vaudou africain au cours desquelles
il est fait appel aux forces astrales. Permettez-moi
de vous demander dans quel univers évolue le Vatican
? Le fait que depuis le Moyen-Age, la plupart des
gens ait appris à accepter les agissements de l’Eglise
ou à s’en désintéresser totalement, conduit l’opinion
à se taire alors qu’un cri d’indignation devrait au contraire
s’élever lorsqu’une personne comme le Pape
encourage, au 21ème siècle, des pratiques assimilables
à de la magie et susceptibles de mettre en péril
la vie de certaines personnes ou tout au moins de
porter atteinte à leur intégrité psychique. Si la magie
grandit, faut-il en déduire que la spiritualité décroît ?
Un psychologue pourrait faire remarquer que plus un
sujet refoule sa part d’ombre, plus le diable a
d’emprise sur lui.
L’une des nombreuses déclarations que vous avez
faites depuis le début de votre pontificat est extrêmement
instructive à cet égard. Vous déclarez en effet
que : les « pseudo-couples de personnes du même
sexe », tout comme les « couples non-mariés » et les
« couples d’occasion » sont une manifestation de la
banalisation du corps humain. Pourtant, dans le
même temps, le cardinal allemand Lehmann s’expri233
mant sur une chaîne de télévision allemande, encourage
le don d’organes, conformément aux conceptions
actuelles de l’Eglise. Dans ces conditions, permettez-
moi cette question : qu’est-ce qui favorise le
plus la banalisation du corps humain ? Est-ce le fait
que deux personnes choisissent de vivre ensemble,
sans la bénédiction de l’Eglise ou n’est-ce pas plutôt
l’utilisation de personnes mourantes comme réserves
de pièces détachées ?
Je ne voudrais pas me montrer insolent, mais je ne
peux m’empêcher de penser que vous devriez faire
preuve d’une plus grande retenue dans vos jugements
sur la banalisation du corps humain, compte
tenu des révélations toujours plus nombreuses sur
les dérives pédophiles au sein de l’Eglise catholique
ou de la banalisation de la sexualité dans les séminaires
de formation des prêtres comme dans le cas
de St-Pölten, en Allemagne.
Si vous preniez la peine de me répondre, je ne doute
pas que vous me diriez que l’Eglise désapprouve de
tels faits. Et c’est en effet le cas… en paroles.
Pourtant, vous-même, cher Pape Benoît, vous êtes
soupçonné d’avoir soustrait systématiquement à la
justice des personnes sur qui pèsent de tels
reproches. Au mois d’avril 2005, est paru dans la
presse britannique un article ayant pour titre
234
« Pope`obstructed` Sex abuse inquiry » (le Pape
empêche une enquête sur des abus sexuels). Selon
son auteur, dans le cadre de vos fonctions comme
préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi,
vous auriez adressé une missive secrète à chaque
évêque catholique pour leur ordonner la mise sous
scellé de toutes les enquêtes pour pédophilie au sein
de l’Eglise. Selon le droit allemand, il s’agit ni plus ni
moins d’une incitation d’entrave à la justice (conf. §
258 StGB). Si vous n’étiez pas Pape, et à ce titre
chef d’Etat, vous pourriez, lors de votre prochain
séjour en Allemagne, faire l’objet d’une instruction
judiciaire engagée par le ministère public.
Il est probable que mes propos vont indisposer les
membres de votre secrétariat et que ma lettre risque
fort de rejoindre une corbeille à papier, si ce n’est
déjà fait. Pourtant, n’en déplaise à quiconque, je n’ai
fait que rappeler la loi. Et si l’article publié par l’ « Observer
» et le « Guardian » est entaché de fautes, d’erreurs
ou de mensonges, pourquoi le Vatican ne les a-t-il
pas démentis ?
Par ailleurs, que répondez-vous aux 80 prêtres catalans
qui, dans une lettre ouverte, réclament votre
démission ? Cette lettre a été publiée dans le journal
La Vanguardia de Barcelone, le 20 juin 2005, Ses
auteurs, soutenus par plusieurs forum de prêtres du
sud et du nord de la Catalogne, réclament parallè235
lement la réhabilitation de tous les théologiens qu’en
tant que responsable de la Congrégation pour la
doctrine de la foi, vous avez privés de leur droit à la
parole au sein de l’Eglise. Les auteurs de cette lettre
ouverte expliquent leur démarche par le désir de voir
l’Eglise en revenir à l’esprit de l’Evangile. C’est
également pourquoi ils condamnent le « spectacle fait
autour de la mort de Jean-Paul II et de votre élection.
» Selon eux, cela n’est « ni chrétien, ni constructif
». » Par ailleurs, ils considèrent la présence de chefs
d’Etat dont certains soutiennent le recours à la guerre
et à la dictature ou portent une lourde responsabilité
dans le développement de la famine dans leur pays,
comme incompatible avec Jésus de Nazareth, pas
plus que la débauche de luxe déployée par les autorités
écclésiastiques à cette occasion. » Pour finir, les
auteurs de cette initiative vous demandent de ne plus
vous faire appeler « Saint-Père, Pontifex Maximus
et sa Saintété. »
Les prêtres qui s’adressent à vous de la sorte ne sont
pas des opposants à l’Eglise, mais considèrent qu’ils
ont un devoir moral envers le Nazaréen. Qu’aurait
pensé Jésus de cette lettre ? Comment le Ressuscité
verrait-il toute cette affaire ? Vous considérant
comme le représentant du Christ et de Dieu sur la
Terre, la réponse que vous allez donner à ces prêtres
236
sera particulièrement importante. Pour notre part,
nous pensons que vous devriez approuver la démarche
de ces amis du Christ. Si vous ne le faisiez pas
ou si vous considériez cette requête que vous adressent
vos frères comme une insubordination, vous
agiriez alors en adversaire de Dieu, bien qu’immédiatement
après votre élection, vous ayez déclaré vouloir
vous comporter en « humble serviteur dans la vigne
du Seigneur.» Il est vrai qu’il est sans doute difficile à
quelqu’un qui se fait appeler Pontifex Maximus et
Saint-Père de ne pas perdre contact avec la réalité. Et
quand, de surcroît, cette personne prétend s’exprimer
au nom du Christ, elle expose son âme à d’extrêmes
tensions schizophréniques.
Les cent premiers jours de votre pontificat ont déjà
mis en évidence de tels symptômes schizophrènes.
C’est particulièrement vrai en ce qui concerne l’appel
que vous avez lancé suite aux actes terroristes de
Londres. Ainsi, « au nom de Dieu », vous avez appelé
les terroristes à la paix. Pour ne pas s’étrangler d’indignation
face à une telle démarche, il faut vraiment
ne pas connaître l’histoire. Etes-vous à ce point ignorant
du passé pour ne pas savoir que c’est précisément
par la formule « au nom de Dieu », que l’un de
vos prédécesseur, le pape Urbain II, a inauguré la
première croisade contre le monde islamique, promet237
tant à chaque croisé tombé « au combat contre les
païens », le pardon de tous ses péchés.
Les termes utilisés par votre prédécesseur, il y a 900
ans, ressemblent presque mot pour mot à ceux
formulés par les fondamentalistes musulmans dans
leur appel au Djihad. Ainsi, il semble bien que les
abominations perpétrées par des chrétiens à l’encontre
du monde musulman, à cette époque et au cours
des siècles qui suivirent, ne soient pas tombées dans
l’oubli. Les dirigeants d’Al-Quaida rappellent souvent
la cruauté des chrétiens qui, à Jérusalem, assassinèrent,
pillèrent, avant d’aller s’agenouiller devant la
tombe du Rédempteur. Déjà à cette époque, les
méfaits de votre Eglise empoisonnaient l’histoire du
monde. Votre prédécesseur, Jean-paul II, ne s’en est
pas sérieusement excusé, lui qui s’est lavé de cette
faute sur le dos de quelques chrétiens dévoyés.
L’énergie satanique émise à cette époque par l’Eglise
contre le monde musulman se retourne aujourd’hui
contre l’Occident tout entier. Bien entendu, cela ne
justifie en rien les actes abominables commis à New-
York, Madrid, Londres ou ailleurs, mais il est proprement
insupportable et scandaleux que ce soit précisément
le représentant de l’organisation qui porte la
plus grande part de responsabilité dans le cours
sanguinaire de l’histoire du monde, qui adresse un
appel à l’Orient, agissant comme un pyromane aux
238
yeux de ceux pour qui les attentats-suicides sont une
réaction face aux humiliations incessantes que l’Occident
chrétien leur a fait subir.
N’aurait-il pas été politiquement plus avisé et cela ne
serait-il pas depuis longtemps un devoir, d’un point de
vue éthique, que le nouveau pape saisisse ces évènements
comme une occasion d’adresser au monde
musulman des excuses sincères pour les nombreuses
meurtrissures que l’Occident chrétien lui a infligées.
Il aurait pu, par la même occasion, s’engager
à venir en aide aux victimes de la misère matérielle
en mettant à leur disposition une partie des immenses
richesses de l’Eglise. En l’occurrence, il ne s’agirait
que d’un juste retour des choses puisqu’une
grande partie de ces richesses provient directement
ou indirectement de vols et de pillages commis dans
le monde entier. Il aurait également pu sommer le
président américain et le premier ministre britannique
de tout mettre en oeuvre pour faire cesser immédiatement
les actes de discrimination religieuse et de
torture commis à l’encontre de prisonniers musulmans
détenus dans des conditions arbitraires. Alors
seulement, l’appel du pape à la paix au Moyen et au
Proche-Orient ne serait pas ressenti comme une provocation
des descendants de croisés. Lorsque le
pape se place sur le devant de la scène, comme vous
239
venez de le faire, nourrissant secrètement sans doute
l’illusion de peser encore sur les affaires du monde,
alors cela ne concerne pas seulement les catholiques
mais l’ensemble de nos contemporains, car nous
sommes tous menacés par la rage haineuse des terroristes
poussés à la provocation par les initiatives
inconsidérées du Vatican, même si, cela va de soi,
les attentats barbares d’aujourd’hui ne sauraient être
justifiés par les crimes et les humiliations d’hier.
De fait, vos actes et vos paroles n’ont pas seulement
des conséquences pour les catholiques. En effet,
quand le pape s’exprime au nom de la chrétienté, tous
ceux qui se reconnaissent en Jésus, le Christ, sont
également concernés – même s’ils évoluent hors des
institutions ecclésiastiques – et ressentent combien
ce que prêche l’Eglise et la façon dont elle se comporte
ont peu à voir avec Lui. C’est pourquoi je m’autorise
à m’adresser ainsi publiquement à vous. Et je le
ferai de nouveau à l’avenir, même si ma lettre devait
ne pas vous parvenir ou rester ignorée.
C’est à vous de décider si, du haut de votre sainteté
et de votre infaillibilité papale, vous choisissez d’éviter
les questions gênantes et préférez limiter votre
communication avec le monde extérieur à des dialogues
diplomatiques sans conséquences. Quand le
ministre des finances allemand reçoit votre bénédiction
à l’occasion de l’édition d’un timbre à votre effigie,
240
il ne vous entretient certainement pas des subventions
de plusieurs milliards que l’Etat allemand verse
à votre Eglise et auxquelles il ne pourra bientôt presque
plus faire face. Mais qu’un contribuable moyen
comme moi vous fasse remarquer que les Allemands
ne peuvent plus continuer à payer des impôts servant
à subventionner la bureaucratie d’une Eglise que
les croyants désertent en masse, cela ne mérite que
mépris et ignorance. Lorsqu’en août vous irez vous
faire acclamer par la jeunesse lors de prochaines
JMJ, vous ne risquerez pas de voir un doigt catholique
se lever pour vous demander pourquoi l’Eglise
protège inconditionnellement la vie avant la naissance
mais permet qu’elle soit détruite dans le cadre de ce
que vous appelez la « guerre juste » ou encore pourquoi
vous interdisez l’usage des préservatifs alors
que cela a de graves conséquences dans le Tiers-
Monde sur le plan de la faim, de la propagation du
sida et donc de la mort de beaucoup d’hommes et de
femmes.
C’est pourquoi, un citoyen comme moi qui se sent
relié à Jésus de Nazareth est en droit de vous poser
ce genre de questions.
Je vous salue en Christ jusqu’à la prochaine fois.
Christian Sailer
Nº de référence: S 371 fr
1ère edition en français : juin 2006
© Verlag DAS WORT GmbH
Max-Braun-Straße 2,
97828 Marktheidenfeld, Allemagne
Internet: http://www.la-parole.com
e-mail: info@das-wort.com
Traduit de l’allemand
Traduction autorisée par
les éditions Verlag DAS WORT GmbH
Titre original en allemand :
»Nur für kluge Köpfe und gute Analytiker.
Wer sitzt auf dem Stuhl Petri?«
Pour toute question se rapportant au sens,
l’édition allemande fait référence
Photos p. 176, 178, 181, 184, 185,
archives privées
Tous droits réservés
ISBN: 3-89201-227-X
Impression:
Santec Studio und Druckerei GmbH,
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